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on, les choses, je veux parler des choses au sens large, bien sûr, il s'agit de les célébrer dans leur majeure partie, dans leur néant, c'est-à-dire, un néant tout relatif et sans prétention, puisqu'elles s'en arrachent un moment et sans grand effort et y retournent sans grande douleur, mais laissons ça, il s'agit de célébrer dans la joie et l'indifférence qu'il mérite le transitoire, le fugitif, le vagabond, le banni, il s'agit de lui rendre sa juste place, sans discriminer entre les biens de consommation périssables et le reste, les fruits et les légumes, le cadre de vélo plus si plan, le détenu, l'écolier, son maître et l'urne funéraire, sans médiocre, sans conformiste aversion pour le jus de compost ou pour la merde... »Comme s'il pouvait y avoir des choses au sens restreint...L'auteur embraye d'emblée sur un paradoxe. Il s'empresse de le conforter dans la séquence suivante de cette longue phrase, puisqu'il s'agit de célébrer « dans leur majeure partie », les choses. Choses qui ne sont rien que du néant, n'oublions pas. Ainsi, continue-t-il avec aisance dans la contradiction terme à terme. Le néant (total, par essence) devient « relatif » et même modeste comme une personne. On se demande là, finalement de quoi, ou de qui il est question en vérité.
Il déroule ensuite un inventaire à la Prévert, pour définir ce dont il discours tout au long du livre, le déchet, la scorie, l'ordure. Définition toute relative d'une situation parfaitement transitoire.
L'ordure ne cesse de grandir et, pour cette qualité majeure, il faut-il lui faire de la place, lui faire place. Nos assises, nos lois, nos certitudes, comme nos textes les plus sacrés ne peuvent que subir une cure de ce relativisme culturel que quelques-uns voudraient bien jeter à la poubelle.
Les ingrédients du chaos sont là, que François Tison va s'empresser d'organiser et d'amplifier par d'improbables rencontres langagières sinon ordurières, pour produire des échos grandioses ou de dérisoires stridences, dans un indéfinissable opus qui sent, comme souvent chez Allia, son médecin malgré lui. Voilà pour le fil du livre.
Un livre habilement habillé d'un plan classique. Exposé des motifs. L'ordure déborde dans la cité et les maisons, il convient de réguler ce flot et contenir le laxisme des foules. Propositions. Avant tout gagner la bataille des esprits, convaincre que l'ordure est partout majeure ; il faut donc la placer au centre de nos préoccupations, de nos villes et de nos salons. Horizons. L'univers transitoire ne finira-t-il pas scorie ? Ainsi nous serions tous...
Ce ne serait pas rendre justice à ce petit bouquin que d'en faire une sorte de manuel finissant sur quelques notes amères de philosophie à la Cioran. L'auteur, tout du long, nous fait un exercice de style dont les quelques lignes que je me suis permis de recopier ne donnent qu'une faible idée. Il y a quelque chose de pataphysique là-dedans, un grand rire surréalisant aussi, par les images qu'il convoque pour qualifier l'ordure.
François Tison possède, il faut dire, un lexique assez impressionnant, au service d'une langue très soutenue, d'une élégance qui serait surannée si soudain on ne sombrait pas dans un chausse-trappe, un trait de délire manifeste, ou de politique tout à fait actuel flirtant avec le non-sens drolatique. Cet homme sait tenir une plume et, malgré les défauts de ses qualités – parfois un peu de gothique flamboyant – son livre est à lire. Les écolos, les post-modernes et les grolandais cultureux trouveront sans doute un certain fumet et un peu de second degré à ce premier livre, entre poème élégiaque et ascétisme déjanté, malgré quelques passages un peu superflus.
François Tison, 35 ans, ancien professeur de lettres, aujourd'hui relecteur-correcteur et secrétaire d'édition navigue entre Lyon, la Basse-Saxe et l'Auvergne.
Farcissures – François Tison – Ed. Allia 2012 – à paraître en août 2012 - 6,20€