Lu dans Marianne, sous la plume de Nicolas Domenach et Maurice Szafran :
Le Béarnais à la tête dure, qui n'a jamais aimé s'incliner devant les puissants, est allé, lui, jusqu'à refuser les contingences partisanes. Il a réfuté les calculs à courte vue, se prononçant, « dans l'intérêt de la France », en faveur de celui le plus à même de rassembler ce pays que cinq ans de sarkozysme avait hérissé et blessé d'hostilités. Et maintenant que Bayrou est menacé d'être battu par une coalition e de sectaires et de revanchards de droite et de gauche, nous l'abandonnerions ?
Un tel abandon serait renoncer en partie à ce pour quoi Marianne a été créé ; ce serait abdiquer nos propres exigences rebelles, notamment le droit à l'échappée libre hors des clans et des lobbies, le refus du bipartisme strict, cette hémiplégie qui dévitalise notre démocratie. Soutenir Bayrou dans cette épreuve, c'est aussi nous soutenir nous-mêmes. Nous rendre plus forts devant les défis à venir.
Car, demain, il nous faudra faire face pour commencer à sortir de la crise, si les socialistes se ferment encore plus qu'ils le sont, ils sont alors sûrs de courir à leur perte, et de nous entraîner à leur suite. Il leur appartient donc, d'abord à eux, de réfléchir au sens que prendrait l'exclusion d'une telle personnalité de l'Assemblée nationale. Cette démonstration de sectarisme primaire aurait un impact dramatique sinon sur l'opinion, au moins sur tous ces responsables politiques qui devront venir plus tard en renfort pour que la France se rassemble enfin dans l'adversité. Ce serait une faute majeure.
Réfléchissons donc un instant : sans François Bayrou, le courant démocrate-chrétien serait chassé du Parlement alors que le centrisme compromis, le libéralisme dévoyé, le gaullisme renié, y seraient, eux, installés, en force. La plupart de ceux qui ont consenti à toutes les petitesses, à toutes les grandes lâchetés, les centristes de pacotille, les radicaux de salon, les prétendus modérés qui se sont couchés devant l'ultradroitisation du tout-puissant Sarkozy, tous ces faquins, ces malotrus, ces demi-solde de la conscience politique, ces pseudo-moralistes vont revenir au Palais-Bourbon en plastronnant. On songe aux Méhaignerie, Morin, Borloo, etc. Ils jetteront des pelletées de moqueries sur Bayrou, le naïf qui, pour avoir eu l'audace de ses convictions, serait renvoyé à la rue ! Il y a quelque chose qui cloche là-dedans, qui sonnerait même le glas de tant d'espérances en une autre politique dynamitant les vieux clivages qu'on ne saurait l'accepter.
Oh, certes, nous n'avons pas toujours été d'accord, Dieu merci, avec Bayrou. Nous avons même pu être déçus par sa campagne, non par son constat des fondamentaux économiques qui était lucide, mais par son manque d'intrépidité, d'imagination pour sortir de la crise, son défaut de solutions pour l'Europe et son déficit de projet social, son manque de transcendance, comme si le mot en politique l'effarouchait. Mais son échec présidentiel, auquel il survivra comme les précédents, signifie qu'avec lui, au moins, nous sommes débarrassés de cette arrogance impavide dont font preuve certains vainqueurs socialistes, mais aussi la quasi-totalité des perdants sarkozystes, qui se comportent avec une telle hargne qu'il faudrait quand même leur rappeler que l'ex-président a été défait ! Dans l'esprit des sarkozystes, les socialistes sont par nature illégitimes au pouvoir ; et plus encore les rares qui, tel Bayrou, se sont dressés en refusant que la France soit davantage abaissée. Que cet insolent puisse alors demain leur rappeler par sa présence parlementaire qu'ils ont manqué à leur engagement premier -réunir et réussir la France -, ce qui a provoqué leur perte, voilà qui explique mieux leur détermination à l'abattre. Mais comment les modérés, de droite, de gauche, du centre et d'ailleurs, pourraient-ils participer par leur vote à pareille forfaiture, ou même y consentir par leur silence ? Nous ne serons pas de ce complot-là, et ferons tout pour l'empêcher d'aboutir. Il est indispensable que François Bayrou soit un élu parmi les élus.
Certes, il est d'autres personnalités dont la présence à l'Assemblée nationale serait précieuse, Ségolène Royal, René Dosière ou Jean-Luc Mélenchon. On peut même ajouter qu'il serait de bonne démocratie représentative que le Front national compte des députés puisqu'il est une force politique réelle. Mais l'absence d'une des rares figures morales de la politique signerait une démoralisation citoyenne et, qui plus est, une erreur de calcul très dommageable pour les électeurs de sa circonscription. Car quelle meilleure garantie de représentation et d'efficacité que ce fils de paysans envers qui le pouvoir et la nation ont une dette ? Une dette d'honneur !