YoSoy132 – “Je suis le 132″, movement pour la liberté d’expression au Mexique rappellant étrangement la campagne “Anou liber MBC” d’Azir Moris
On les croyait revenus sur terre. Un récent commentaire d’un visiteur m’a indiqué le contraire la semaine dernière. Et coïncidence, la presse étrangère parle d’un mouvement étudiant au Mexique, les YoSoy132, « Je suis le 132 ».
Le réseau YoSoy132 est né mi-mai sur les réseaux sociaux au lendemain d’une mobilisation dans une université privée contre la venue d’Enrique Peña Nieto, candidat du Parti révolutionnaire institutionnel, l’ancien parti hégémonique. Le PRI avait alors affirmé que ces troubles avaient été causés par des agitateurs rémunérés, mais pour démontrer leur bonne foi, 131 (sic) étudiants de l’Université ibéroaméricaine avaient diffusé sur Internet une vidéo dans laquelle ils montraient leurs cartes d’étudiants. Et en signe de solidarité, d’autres étudiants du public comme du privé ont monté un groupe appelé « Je suis le 132 ».
Source : http://www.legrandjournal.com
« Je suis le 132 » est l’occasion de faire l’autopsie d’une promesse et comprendre pourquoi la révolution des 15 000 n’a jamais eu lieu.
Le parallèle est pourtant saisissant. A l’origine, c’est donc le même phénomène : un mouvement contestataire qui voit le jour sur les réseaux sociaux pour dire son raz le bol, tout comme ce fut le cas du bloc « Wanted 15,000 », plus tard rebaptisé Azir Moris. La comparaison est tentante. L ’exemple de YoSoy132 est un cas d’étude idéal essayer expliquer pourquoi ce mouvement de contestation captive l’attention des médias internationaux, alors qu’Azir Moris sombre de plus en plus dans l’oubli, même de la presse alternative mauricienne, qui a pendant longtemps cru en ce mouvement.
- Le contexte :
Le cadre des élections y est pour beaucoup. Le candidat Enrique Peña Nieto, donné par tous les sondages comme le grand favori des élections se fait huer dans une université privée où il pensait pouvoir s’afficher pour glaner un peu plus de capital politique. Cette manifestation contraire à la tendance électorale ambiante fait sourciller. Bien structurée et argumentée, elle a une capacité de contagion.
A l’inverse, Azir Moris n’était pas aussi chanceux : Jameel Peerally lance son group sur Facebook à peine 1 an après les élections législatives de 2010. L’instabilité politique autour de l’Affaire Medpoint y est, certes, pour quelque chose. Mais les enjeux ne sont pas les mêmes : contrairement à YoSoy132, Azir Moris ne pouvait prétendre avoir un effet sur l’échéance électorale.
- Le message :
Malgré les élections, à priori, un groupe de 132 étudiants huant Enrique Peña Nieto ne devrait pas provoquer plus conséquent q’un entrefilet dans un journal mexicain quelques jours après l’incident. Néanmoins, l’explication des YoSoy132 change la donne : ils dénoncent une entente dans les médias pour faire élire à la présidentielle le candidat du PRI. Le message tappe dans le mille: ils disent tout haut ce que tout le monde pense tout bas. Le message alimente le mouvement et devient l’objectif: on réclame la liberté d’expression.
Par contre, Azir Moris mélange tout :
Mécontentement généralisé face à un « tripotage politique » et à la « monopolisation du pouvoir » ; un ras-le-bol prononcé au niveau de la population d’un système politique traditionnelle mené sur un fond aigue de communalisme qui « gangrène le pays » […] Sont cités aussi « l’absence de volonté a combattre la corruption » […] Sur la même lancée, les membres du groupe sont tous d’accord pour affirmer que pendant longtemps, trop longtemps, la méthode « diviser pour mieux régner » a primé sur la politique a Maurice. […] Autre point abordé, l’absence de la méritocratie et « tout les temps mem dimune » […] Les jeunes, les moins jeunes, LES MAURICIENS, sont indignés face aux problèmes que rencontre notre société.
Tous s’y retrouvent un peu. Très peu s’y retrouve complètement.
- La contagion:
Le contexte s’y prêtant et le message étant clair, d’autres étudiants se sont ralliés aux premiers 132 et créent le mouvement YoSoy132:
Ce groupe, qui se dit « apolitique » mais résolument « anti-PRI », a organisé plusieurs manifestations ayant réuni plus de 10.000 personnes pour protester principalement contre la bienveillance des médias vis-à-vis du candidat du parti de centre-gauche qui a régné sans partage sur le pays pendant sept décennies.
Source : http://www.legrandjournal.com
Ainsi, de 132 étudiants sur Youtube, ils sont arrivés à réunir plus de 10 000 dans les rues. Et plusieurs fois de suite. Le groupe devient mouvement.
A Maurice, le buzz autour d’Azir Moris a réuni plus de 20 000 personnes sur la page Facebook. Néanmoins, seuls 2 500 se sont mobilisés dans les rues une première fois. La dernière manifestation d’Azir Moris, « Liberr MBC », ne réunit qu’une « maigre foule », à en croire la presse – une centaine de personnes. L’effet domino y est aussi, mais dans le sens contraire. En perdant de vue leur objectif – qu’ils n’avaient de toute manière pas défini dès le départ - Azir Moris perd ses sympathisants.
- L’action :
Dénoncer ne suffit pas. Pour légitimer sa pertinence auprès du reste de la population, tout mouvement de contestation doit pouvoir se constituer en groupe de pression. Le groupe de pression existe par l’action, et non pas uniquement par la dénonciation. YoSoy132 l’a compris et le fait :
Le mouvement universitaire mexicain “#YoSoy132″ […] a appelé les quatre candidats à un débat organisé par les étudiants. « Nous vous donnons la possibilité de dialoguer avec ceux qui élèvent la voix sous la bannière de « Je suis le 132 » (…) Nous vous invitons à un débat lors duquel vous ferez face à la jeunesse », a annoncé le mouvement étudiant. Ce débat, qui se tiendrait le 19 juin et serait retransmis sur YouTube, prévoit des échanges entre les candidats sur deux thèmes essentiels, avant que ces derniers ne soient soumis aux questions des étudiants et de jeunes sélectionnés sur internet.
Source : http://www.legrandjournal.com
A ce jour, trois blocs politiques ont confirmé leur participation. Seul Enrique Peña Nieto hésite. La réaction épidermique du départ l’a échaudé. Il a peur d’engager – et de perdre – son avance dans les sondages. YoSoy132 fait hésiter un candidat favori aux élections.
Ici, en refusant une structuration qui aurait pu promouvoir Azir Moris au rang de groupe de pression, le groupe perd en crédibilité en sombrant de plus en plus dans la caricature. Après l’usurpation du rôle d’une Ong à travers une distribution de vives dans un quartier défavorisé, Azir Moris organise naïvement une opération « balié fatak » pour dire « non à la pauvreté ». Le symbolisme de l’action est louable. L’exécution l’est moins. A travers cette action, Azir Moris rejoint le rang des syndicats qui font désormais partie du paysage de la Place d’Armes avec leurs revendications sur pancartes. Manifestations auquel aucun Mauricien ne prête plus attention.
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L’évolution à contre-sens de ces deux mouvements, à priori similaire au départ, s’explique par deux éléments fondamentaux de tout mouvement social : la structuration et la réflexion. En refusant systématiquement ces deux éléments, le leader auto-proclamé d’Azir Moris, Jameel Peerally, a essayé plusieurs fois d’expliquer maladroitement sa position. A en croire ses prises de position, il se veut en gros un anarchiste. Sauf que même l’anarchie est structurée.
Les rares survivants du groupe Azir Moris ne rateront sans doute pas l’occasion de me dire que je m’engage à nouveau dans une « masturbation intellectuelle ». Non, je ne critique pas que pour critiquer. Je donne ici une lecture argumentée de ce que j’appelle « quelque chose bien fait » à travers un exemple que je salue. Je retrouve, dans le YoSoy132, des caractéristiques de mobilisation des manifestations alter mondialistes de la fin des années 90. Comme la roue, l’activisme ne se réinvente pas. On s’inspire de ce qui a déjà été fait et on modifie conjoncturellement avec l’aide des nouveaux outils: les réseaux sociaux.
Au final, ce que je regrette le plus est qu’Azir Moris ait gâché une occasion unique. La population en général et la classe politique sont désormais anesthésiées : on sait qu’un mouvement contestataire citoyen ne réunira pas plus de 2 500 personnes dans les rues et aura une durée de vie active de pas plus de six mois. Et il sera sans conséquence sur l’échiquier politique. Outre d’autres facteurs structurels, les prochains mouvements de contestation social auront à faire face à cette anesthésie pour mobiliser. A moins qu’ils ne soient bien faits, comme YoSoy132.