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[anthologie permanente] Mathieu Bénézet

Par Florence Trocmé

Que sont ces choses dont vous nous entretenez 
 
Dites 
 
Je sais qu’il y a beaucoup de choses, c’est plein de choses, une multitude de choses. Souvent ce sont des bouts, des fragments d’autres choses, et on joue avec ça sans connaître ce que c’est 
 
Par exemple 
 
Par exemple, quelqu’un dit ici que les choses de l’art ne sont belles et compréhensibles que lorsqu’elles sont abîmées, vieillies 
 
Oui 
 
« C’est une question d’années – une vie » écrit Jackson Pollock à sa mère | Des choses qui font mal, choses qui coupent, blessent, sur quoi le corps tombe (je me suis blessé d’un livre, dira-t-il plus tard) et ces choses si grandes, nos corps d’adultes, « l’obscurité indispensable » a dit Baudelaire (il évoquait Hugo), et ces choses des voix, choses qui semblent une même chose. Grandir. Marcher. Apprendre à se séparer de ces choses, connaître les choses de son propre corps, apprendre que ces choses font un, connaitre que parfois nous rêvons de reprendre dans nos mains, de réintroduire dans nos bouches ces choses d’enfant. 
 
C’était quoi 
 
Des débris, des morceaux de matière [la chose Azur chez Mallarmé, ou Hazard, le Z d’époque, mais bien davantage à considérer Gautier ou Baudelaire], de la laine, des ficelles, du carton, plastique, bois ou fer, du verre – là il faut faire attention, c’est interdit. Attention. Et l’enfant regarde, écoute, touche. Quand il pleure il s’interroge sur la qualité de ses pleurs {« Mais que font jamais d’autre les acteurs ? » a écrit Antoine Vitez, inventeur de la vasque à larmes*, à propos de Racine, d’une langue rêvée en rêve à propos de Hugo et Hernani, la H précédant le Z]. Y a-t-il une grande poche de pleurs, ou une chambre de pleurs. Est-ce toi qui te quittes ; et si tu peux toucher ta merde, peux-tu t’approprier la chose des pleurs, ce n’est pas du langage mais de la langue. Et si dans les choses il a avait plus de langue, plus de moi que dans l’homme 
[...] 
 
Mathieu Bénézet, Continuités d’éclats, Éditions Rehauts, 2012, pp. 47 et 48.  
 
* Les acteurs, les actrices s’approchaient, s’approchent d’une vasque de larmes, tout à tour, puisaient, puisent, des larmes ; et ces larmes tu les vois, tu voudrais, tu veux les disposer dans la proximité de tes yeux, et de tes joues, larmes si vraies aux statues, à la peinture « Qui pleure ici », dit Valéry ? Nul n’apaise le corps-enfant. Quelqu’un ajoute : Parfois la sueur des hommes au travail, sur le chantier du monde, en gésine de rien, est semblable – beauté des déjections, en leur nom je te parle. Ainsi parles-tu, ajoute-t-il, dans un éventrement des signes et des sens. Nul ne figure, ajoutes-tu, hors le corps-acteur.  
 
 
Mathieu Bénézet dans Poezibao : 
Bio-bibliographie, extrait 1, extrait 2, Mais une galaxie, extrait 3, extrait 4, extrait 5, extrait 6, lecture du Lundi des Poètes, La tête couchée de Brancusi (parution), La Terrasse de Leopardi (parution), extrait 7, Ne te confie qu’à moi, extrait 8, extrait 9, extrait 10, extrait 11, ext. 12, ext. 13, ext 14, ext. 15, ext. 16, Continuités d’éclats (par JP Chevais) 


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