Pathétique, kafkaïen, polémique, inutile : tels sont les qualificatifs qui viennent à l’esprit au moment où se termine le procès en appel de l’accident du Concorde d’Air France de juillet 2000 : trois mois d’audiences, le réquisitoire aujourd’hui, l’épilogue le 18 juin, le verdict plus tard. Mais quel verdict ? En fonction de quels critères ? Et peut-il être différent de celui prononcé au terme du premier procès qui avait condamné Continental Airlines à une amende, au paiement de dommages et intérêts à Air France, à une peine avec sursis infligée à un mécanicien.
Bien sûr, la maintenance des avions de Continental n’a pas laissé une bonne impression, c’est le moins que l’on puisse dire. Une impression, sans plus, tant les certitudes font défaut. A chacun sa vérité : aux yeux de certains observateurs, au terme de ce second procès, des incertitudes, des doutes, ont grandi quant à la réalité de la faute de Continental. Certes, une lamelle d’une nacelle moteur de l’un de ses DC-10 s’est bien détachée et est tombée sur la piste qu’allait emprunter le Concorde quelques instants plus tard. Ladite lamelle a donc sans doute initié la séquence d’événements qui ont conduit à l’accident.
Les dirigeants de Continental, plus pour l’honneur que pour éviter amende et dédommagement, se sont battus jusqu’au dernier moment pour tenter de s’extirper de ce mauvais pas. Leur avocat, Me Olivier Metzer, a mis tout son talent au service de cette cause, aidé par des experts qui ont investi beaucoup de temps et des budgets confortables pour «prouver» (les guillemets sont optionnels) que l’avion supersonique allait déjà à sa perte avant-même de passer à l’endroit où se trouvait la lamelle de titane.
Après un expert presque convainquant, il y a deux ans, des témoignages soigneusement sélectionnés mais venant de personnes respectables, cette fois-ci, c’est un commandant de bord d’Air France, Jean-Claude Samoyault, aux premières loges puisqu’il attendait à ce moment-là l’autorisation de décoller, qui a affirmé que les premières flammes étaient apparues sous le Concorde plusieurs centaines de mètres avant l’emplacement de la lamelle. Crédible ? Plausible ? Recevable ? La qualité du témoin a pu contribuer à jeter le trouble dans les esprits.
S’il était encore de ce monde, son défunt collègue Jean-Marie Chauve, qui fut longuement commandant de bord Concorde, serait sans doute venu à la barre pour étayer indirectement la même thèse. Pour lui, l’absence de l’entretoise du train d’atterrissage gauche, qui n’avait pas été remise en place au sortir d’un entretien, aurait empêché l’avion de rester dans l’axe de la piste, avec des conséquences graves, puis mortelles. Le BEA a rejeté cette hypothèse, évoquée dans son volumineux rapport final mais, «bien sûr», ceux qui doutent n’hésitent jamais à écarter les propos des enquêteurs, sournoisement soupçonnés du pire.
Le procès-fleuve de Versailles, deux ans après celui de Pontoise, n’a de toute manière rien démontré. Rien n’était vraiment démontrable, d’autant que la conscience, de la connaissance, de la maîtrise de Concorde, faisait cruellement défaut. Henri Perrier est mort alors que les audiences se succédaient et, avec lui a disparu l’essentiel de la mémoire collective technique de l’avion supersonique franco-britannique. Dès lors, tout au plus pouvait-on, dans ces circonstances délicates, en revenir au rôle, à la manière de faire, aux appréciations et aux décisions de la DGAC. Et cela en prenant pour repère l’incident survenu à Washington-Dulles en 1979, dont la gravité aurait été sous-estimée. Mais, plus de 30 ans après, cette introspection pouvait-elle encore avoir un sens ? Bien sûr, chacun était en droit d’attendre qu’éclate une vérité. Mais laquelle ? Cette ultime question tiendrait du cauchemar pour la communauté de la sécurité aérienne si la page n’était définitivement tournée. Les incertitudes demeurent, des avis divergent, s’opposent, Concorde a fait 113 victimes mais le «bel oiseau blanc», élevé au rang de mythe depuis plusieurs décennies, enrichit les musées de l’aviation depuis bientôt 9 ans. Chacun a cru trouver sa vérité dans ce second procès mais il n’y a même pas d’impatience palpable en attendant que soit prononcé le verdict.
Pierre Sparaco - AeroMorning
(Photo: Daniel Faget)