Magazine Beaux Arts

Après la pluie

Publié le 29 mai 2007 par Marc Lenot

au Musée de Rochechouart, jusqu’au 10 Juin.

Une des plus vieilles familles de France, un château du XVème siècle, des fresques, un dadaïste allemand, Raoul Hausmann, réfugié là pendant la guerre et qui fait don de ses oeuvres, une collection d’art contemporain avec beaucoup d’Arte Povera, un jeune et énergique conservateur qui vient d’arriver, sa première exposition, poétique et mélancolique. Plutôt qu’un discours théorique trop intellectualisé, des correspondances, des clins d’oeil, des ambiances, des faces à faces entre artistes confirmés et plus jeunes.

Dans une longue salle ornée de fresques en grisaille retraçant les travaux d’Hercule, au sol, un éblouissement de pierres blanches rappelle une marche de Richard Long dans la région (Rochechouart Line, 1990). Aux pérégrinations d’Hercule à travers le monde antique, de Gibraltar à la Perse, et des Enfers à l’Olympe, répond le parcours linéaire de l’artiste dans la campagne limousine, obstinément, posément, pas après pas.

Dans la salle voisine, sur un fond de scènes de chasse à courre autour du château, les statuettes en bois mal dégrossi de femmes nues de Stephan Balkenhol contemplent la chasse; elles paraissent si fragiles, si dérisoires qu’on craint de les voir écrasées, piétinées. Et que fait donc leur compère, plus grand, debout, décapité, sa tête à la main ? Ce pourrait être une statue votive, céphalophorie d’un martyr, que ses habits et sa pose nonchalante rendraient contemporaine.

La frontière entre collection permanente et exposition est ici volontairement floue. Parmi la demi-douzaine d’artistes venant de l’Arte Povera présentés dans l’exposition, le Mur de chiffon de Pistoletto est une défense dérisoire faite de moellons enveloppés de chiffons multicolores, ligne droite, dure, formelle, derrière laquelle, dans le même charivari de couleurs, les chiffons s’entassent mollement, sans ordre, sans structure : opposition des formes et unité des motifs. Ces chiffons, pauvres rebuts du monde moderne, présumés glanés dans les poubelles par des chiffonniers, symbolisent l’histoire, ce qui en reste après le filtre de la mémoire, pour rappeler le mot de Benjamin. Mais c’est surtout une pièce de contraste, qui structure l’espace autour d’elle: pour la voir, dois-je me placer du côté du mur, à l’extérieur, attaquant face à sa dureté, ou à l’intérieur, prisonnier dans son magma informel ? Ou, comme l’auteur-photographe, entre les deux, sans choisir, en tentant vainement d’adopter les deux points de vue ? Est-il indifférent que cette installation date de 1968 (dont l’héritage n’a pas encore été éradiqué par nos nouveaux gouvernants)?

A côté de Luciano Fabro, et d’Alighiero e Boetti, l’autre oeuvre d’Arte Povera qui m’a impressionné dans cette exposition est celle où Giovanni Anselmo tente de changer le cours du monde, Interférence sur la gravitation universelle (1969). Il retarde le coucher du soleil par sa seule volonté, marchant vers l’Ouest de toute sa vitesse et photographiant tous les vingt pas le soleil au dessus de l’horizon, comme immobile. Tache désespérée, aussi absurde que la flèche de Zénon d’Elée, aussi vouée à l’échec ultime, et qui pourtant affirme l’homme, sa volonté, son ambition dérisoire de changer le monde, d’interférer avec ses lois.  

Le dernier étage est principalement occupé par Guillaume Leblon. Il réinvente, dans April Street, le travelling, il montre un grand miroir enveloppé de bandes d’alliage qui l’occulte complètement (Grande Chrysocale), et, au fond, un arbre gingko biloba repose sur un tréteau : arbre fossile, résistant aux explosions atomiques, aux feuilles blanchies par la radiation. Négation du temps, force de la vie, pour la quatrième fois, le mot dérisoire s’impose.

Pour finir sur une note joyeuse, Anya Gallaccio, une des Young British Artists, occupe une salle entière au parquet ancien avec une nappe ovale de poudre blanche, lisse, impeccablement lisse, brillante, éblouissante sous les projecteurs. En la fixant un moment, la brillance est telle que vous voyez, non seulement des arcs-en-ciel (l’installation se nomme Chasing Rainbows, 1998), mais aussi des mirages. Essayez. Après la pluie…

Photographies de l’auteur.  


Retour à La Une de Logo Paperblog

A propos de l’auteur


Marc Lenot 482 partages Voir son profil
Voir son blog

l'auteur n'a pas encore renseigné son compte l'auteur n'a pas encore renseigné son compte