Par une belle soirée de printemps – en l’absence de la Lune et de pollution lumineuse- , on peut s’amuser à repérer la petite et très discrète constellation de la Chevelure de Bérénice. Quelques dizaines d’étoiles délicatement saupoudrées « entre les flambeaux de la Vierge et du Lion cruel, près de Callisto, la fille de Lycaon » comme le chante le poète Catulle, ajoutant qu’elle « guide à l’occident le Bouvier paresseux qui plonge lentement et à regret dans l’Océan profond« .
Avant d’être une chevelure déposée dans la voûte céleste par la grâce d’Aphrodite, le modeste ensemble formait un astérisme nommé « la queue du Lion« . Sa métamorphose remonte au III ème siècle avant notre ère, au temps du règne Bérénice II, épouse du roi Ptolémée III. Celui-ci occupa le trône d’Egypte entre 246 et 221 avant Jésus Christ. Elle promit d’offrir à la divine Aphrodite, sa belle et longue chevelure dorée si son mari revenait sain et sauf de la longue guerre qu’il menait en Syrie contre le roi Seleucos II. A son retour, la reine fut fidèle à sa promesse et se sépara de sa magnifique chevelure qu’elle déposa dans le temple de la Déesse de la Beauté. Mais le lendemain matin, l’offrande avait mystérieusement disparue, suscitant une grande colère chez le roi. Craignant le courroux, l’astronome et mathématicien Conon de Samos expliqua que la divine Aphrodite avait enlever la belle chevelure afin de la déposer dans la voûte céleste, à la place de la queue du Lion … Et il leur indiqua la pincée d’étoiles que l’on voit entre la Grande Ourse et la Vierge, éparpillées entre le Lion et le Bouvier. La chevelure de Bérénice ou Coma Berenices est le seul cas, avec l’écu de Sobieski, de personnage historique transfiguré dans le ciel.
Située perpendiculairement au plan de la Voie Lactée, précisément sur le pôle nord galactique, cette région du ciel brille, aux yeux des astronomes, par l’absence de matière interstellaire. Une petite fenêtre ouverte sur une portion de l’univers où se déplie d’incommensurables réseaux de galaxies … !
L’une des plus brillantes est Alpha Coma Berenices, aussi nommée le « Diadème« . Sa magnitude n’est que de 4,32. Par la mention alpha, on penserait qu’elle domine la constellation or c’est sa voisine Beta Coma qui la dépasse d’un cheveu … avec une magnitude de 4,26 !
Le diadème – dont nul ne connait l’origine du nom – est un jeune couple stellaire très serré à 58 années-lumières de nous. Douze unités astronomiques seulement sépare les deux étoiles, soit l’équivalent de la distance Soleil-Saturne. Leur masse est supérieure de 25 % à celle de notre étoile.
Beta Coma, l’étoile la plus brillante, est une soeur de notre Soleil, elle lui ressemble comme deux gouttes d’eau. Légèrement plus grande, plus chaude et 10 % plus massive. Distante de trente années-lumière de la Terre, elle est le clone solaire le plus proche de nous. Nous ne la remarquerions pas si elle était plus éloignée. A l’instar du Soleil, Beta Coma a un cycle d’activité qui dure 16,6 ans, contre 11 années en moyenne pour notre étoile. Il semblerait même, selon plusieurs études, qu’il en est un second d’une durée de 9,6 années. L’âge de l’étoile est évalué à 4,4 milliards d’années. D’autres sources l’estiment à 1,7 milliards d’années.
L'amas ouvert Melotte 111 au centre de la constellation de la Chevelure de Bérénice
La première attraction visuelle de cette partie du ciel demeure l’essaim d’étoiles Melotte 111. Jadis confondu avec la « queue du Lion« , il est impressionnant à parcourir dans une paire de jumelle : un délicat semis d’étoiles qui occupe une surface de près de cinq degrés dans la voûte céleste. On doit son étalement à sa relative proximité avec nous. Distant de 288 années-lumières, il est le troisième amas ouvert le plus proche, après les Hyades et l’amas de la Grande Ourse. Le lien fraternel et gravitationnel qui unit ses trente sept étoiles, âgées d’environ quatre cent millions d’années, ne fut établi qu’en 1938. Une unicité comprise tardivement sans doute à cause de sa dispersion, à l’image d’une poignée d’étoiles remarquables dans la constellation de la Grande Ourse qui forment l’amas le plus proche de nous.
L'amas globulaire Messier 53
La frêle constellation de la Chevelure de Bérénice recèle de nombreux objets célestes qui nous échappent à l’oeil nu. Son exploration avec un instrument amateur est passionnante. L’un des premiers à découvrir est l’amas globulaire Messier 53. Le plus simple pour le trouver est de viser Alpha Coma, l’étoile double qui représente le « diadème« . A un degré nord-est de là, vous découvrirez cette concentration d’étoiles, flottant au-dessus du centre de notre galaxie à une distance égale à celle qui nous en sépare : 60 000 années-lumières. En 1775, Johann Bode qui fut le premier à l’observer, y voyait une tache floue et globuleuse. Deux ans plus tard, Charles Messier la redécouvrit indépendamment et l’ajouta à son célèbre catalogue peuplé de « nébuleuses ». C’est l’astronome et musicien William Herschel, équipé de l’un des instruments les plus puissant de son époque, qui résolut le premier la tache floue en étoiles. Etendu sur plus de 44 années-lumières, Messier 53 est l’un des amas globulaires les plus distants. Les observations modernes indiquent une luminosité équivalente à 200 000 soleils !
Non loin de là visuellement, à un degré vers l’est, on peut en observer un second, beaucoup plus ténu : l’amas NGC 2053. Moins peuplé et concentré que son voisin, il peut apparaitre dans l’oculaires aussi épars qu’un amas ouvert. Cependant, les observations spectrales ont confirmé son appartenance à la famille des amas globulaires.
Amas de galaxies de la Chevelure de Bérénice
Il y a pléthore de galaxies à observer entre les cheveux fins de l’ancienne reine d’Egypte, Bérénice. Deux amas de galaxies se partagent cette petite portion du ciel. L’amas dit de la Vierge qui déborde de la constellation éponyme et l’amas de la chevelure ou « amas de la coma ». Ce dernier concentre plus de 1 000 galaxies à une distance moyenne de 320 millions d’années-lumière de nous ! Ses membres les plus massifs et les plus brillants, NGC 4874 et NGC 4889, sont observables dans un télescope de plus de 200 mm (8 pouces).
La galaxie l'oeil au beurre au noir ou Messier 64 photographié par Hubble
Dans cette direction du ciel, l’un des « objets célestes » les plus remarquables et impressionnant est sans nul doute la galaxie dite de « l’oeil au beurre noir« , « Blackeye Galaxy« . Décrite ainsi depuis les observations de William Herschel, elle doit son surnom à la grande concentration de poussières qui cerne son noyau lumineux. Une curiosité aisément observable dans un instrument amateur. Même si elle est deux fois plus petite que la Voie Lactée, Messier 64 est l’une des galaxies spirales les plus brillantes de notre voisinage cosmique, à environ 17 millions d’années-lumière. De récentes recherches suggèrent que l’imposant voile de poussières divise la galaxie en deux ensembles d’étoiles qui sont en rotation opposée.
Galaxie de l'Aiguille ou NGC 4565
En marge de l’amas Melotte 111, à l’arrière-plan, à environ 30 millions d’années-lumière, l’observateur peut admirer NGC 4565. Surnommée la galaxie de l’Aiguille (Needle Galaxy), cette cousine de la Voie Lactée se présente à nous par la tranche. Un long fuseau avec renflement central découvert en 1785 par William Herschel. On devine la nuée de poussière qui épouse son plan équatorial.
Aux confins de la « Chevelure de Bérénice », aux portes de la constellation de la Vierge, on peut observer une grande galaxie spirale vue du dessus, très semblable à la nôtre : Messier 100. C’était l’une des 14 « nébuleuses spirales » qu’avait étudié au milieu du XIX ème siècle William Parsons dit Lord Rosse, avec son puissant télescope plus connu sous le nom de Léviathan. Dans de très bonnes conditions, il est possible de distinguer avec un instrument amateur d’une ouverture supérieure à 100 mm, les deux principaux bras spiraux qui la compose voire leurs extensions ainsi que les différences de densité de population stellaire. Distante de 47 millions d’années-lumière, Messier 100 est une galaxie de plus de 130 000 années-lumière de diamètre, l’une des plus brillantes de l’immense amas de la Vierge. Il semble que l’interaction avec ses voisines n’a de cesse d’agiter la matière qui borde ses bras spiraux, favorisant ainsi l’éclosion de nombreuses étoiles. Une galaxie féconde, débordant d’étoiles bleues très chaudes et très lumineuses où pas moins de 5 supernovae ont été observé depuis le début du XX ème siècle.
A quelques encablures de là, toujours dans l’amas de la Vierge, se dresse Messier 99. Plus délicate à observer dans un instrument amateur, la galaxie montre une forme spirale asymétrique qui a pu être provoquée par une récente collision.
A plus de 60 millions d’années-lumière de nous, la galaxie lenticulaire Messier 85 est un autre maillon remarquable de l’amas. Au foyer d’un télescope amateur, vous la découvrirez comme une tâche floue allongée. Elle concentre de nombreuses étoiles jaunes, assez âgées. La plupart sont massées au centre, dans le noyau que l’on devine dans l’oculaire. Etendue sur plus de 125 000 années-lumière, la masse de cette galaxie est supérieure à 100 milliards de soleils !
Dans son voisinage, on entrevoit la galaxie spirale barrée NGC 4394. Relativement petite et lointaine, elle apparait comme une tâche en demi-teinte.
C’est en quelque sorte, l’infini qui s’étale entre les cheveux de Bérénice. Un morceau d’univers à parcourir sans modération avec une lunette astronomique ou un télescope.