The Tallest Man on Earth
There’s no Leaving Now
Dead Oceans
Suède
Note : 8/10
par Jean-François Téotonio
À l’ère de la turbo-instrumentalisation, où chaque musicien qui se veut un tant soit peu moderne se doit d’utiliser bidouillages électroniques et claviers numériques pour être à l’heure du jour, un retour aux sources, un vrai, détonne.
Et celui de Kristian Mattsson, a.k.a The Tallest Man On Earth, en est un particulier. Non seulement s’aventure-t-il dans le terrain du folk très roots de façon convaincante depuis 2008, mais il le fait d’une façon totalement distincte. Mattsson s’élève au-dessus de la mêlée, tout simplement (jeu de mots, mot de jeux).
Son jeu à la guitare est complexe, senti, intelligent, riche, varié et… phénoménal. Dans le sens littéraire du terme. Ce fingerpicking, qu’il semble exécuter distraitement tellement il le maîtrise est d’une rythmique et d’une rapidité désarçonnant (à rendre jaloux les nombreux guitaristes de ce domaine). Il remplit l’espace musical laissé vide par l’absence d’autres instruments. Tellement qu’on ne s’en rend pas compte, et qu’on n’en voit pas l’utilité.
Puis, sa voix. Elle nous prenait par surprise aux premières écoutes, mais on s’y attache très vite. Nasillarde, oui. Mais poussive, remplie d’émotions. Elle porte à merveille les mots, les histoires que Mattsson nous raconte. Joyeuses par moments, nostalgiques par d’autres.
Les comparaisons à Bob Dylan ont été faites et refaites. Il y a bien sûr des ressemblances, de par la simplicité de l’instrumentation et de par le même type de voix. Si aujourd’hui cette référence est trop facile et même paresseuse, n’en reste pas moins que d’être comparé à un tel géant lui a permis de monter quelques échelons. D’une première partie de Bon Iver il y a à peine quelques mois, il est rapidement devenu une tête d’affiche plus importante dans les différents festivals à travers le monde. Et c’est bien mérité.
Ce troisième album, There’s no Leaving Now, suit donc cette lignée, ce folk relativement (le mot relatif est important, ici) simpliste. Si on s’arme en cours de route d’un lapsteel (Bright Lanterns) et autres orgues, vents, percussions pour diversifier cette musique déjà difficile à étiquetter, on n’y perd rien en authenticité. Et si je vantais plus tôt son incroyable talent à la guitare acoustique, c’est surtout la chanson-titre, interprétée au piano, qui retient le plus l’attention de toutes les dix pièces du disque. Aérienne, quoiqu’organique, où la voix de Mattsson, sablonneuse, rugueuse, s’élève et nous transperce. Le facteur frisson est au rendez-vous.
Aux premières écoutes du disque, je trouvais qu’il y manquait cette urgence, cette haletante émotion qui nous tenait tout au long du précédent opus, The Wild Hunt. Il est peut-être un peu plus posé sur There’s No Leaving Now, n’en reste pas moins qu’on y retrouve encore cette naïveté, entremêlée d’un certain réalisme rationnel.
Kristian Mattsson est essentiellement seul. Si l’apport de différents instruments très subtils est le bienvenu, l’essence même des chansons vient de sa créativité lyrique et de celle de sa six-cordes. Notons qu’il utilise le bon vieil enregistrement studio direct, évitant de capter de façon différée la guitare et la voix. Ainsi, on se sent beaucoup plus interpellé par le ton physique et charnel des morceaux, alors que le contraire aurait fait perdre cette authenticité qui fait sa signature.
Simplicité volontaire? Non. Simplicité volontairement complexe.