Le gouvernement aurait-il (enfin) décidé de mettre en (bonne) pratique la philosophie qui est officiellement la sienne, celle qui a été développée par le Président, à savoir notamment celle de la fermeté républicaine et de la fin du laxisme ?
On peut commencer à y croire, à la lumière d'une lettre adressée le 18 mars à la Présidente du Syndicat de la Magistrature par le Directeur de Cabinet de Rachida Dati, Garde des Sceaux, Ministre de la Justice.
Rappel succinct des faits : le Syndicat de la Magistrature a annoncé le 12 mars par une lettre adressée aux services de Madame Dati son intention d'appeler les magistrats à une journée de grève le 20 mars, c'est à dire aujourd'hui. Peu importe sur le fond les motifs de cette grève, en l'occurrence l'opposition du syndicat majoritaire dans l'ordre judiciaire aux peines de rétention de sûreté prévues par la loi du 25 février dernier.
Dans un tel cas, on avait l'habitude de voir le gouvernement de la République prendre acte en quasi silence, et sans aucune réaction digne de ce nom, de l'ordre de grève, quelle que soit la catégorie professionnelle concernée, service public d'importance majeure ou non.
S'agit-il d'une conséquence indirecte du résultat des élections municipales, ou plus simplement du fait que cette étape relevant hautement de la "cuisine politique" est désormais derrière nous, ou plus simplement encore de la volonté du Président d'aller plus avant dans l'application des principes au nom desquels, entre autres, il a été élu ? Toujours est-il que, cette fois, le ministère de tutelle a réagi dans le bon sens, à savoir par le rappel des principes qui régissent le droit de grève dans ce corps particulier de l'Etat qu'est la Justice.
Dans cette lettre, Rachida Dati, sous la plume de son directeur de cabinet, rappelle à ses magistrats que leur sont interdits "toute manifestation d'hostilité au principe ou à la forme du gouvernement..., toute démonstration politique incompatible avec la réserve que leur imposent leurs fonctions (et) toute action concertée de nature à arrêter ou entraver le fonctionnement des juridictions".
Le ministère aborde en outre brièvement le fond de la cause de la grogne, en expliquant une fois de plus les motivations du législateur qui l'ont conduit à voter cette loi sur la rétention de sûreté, loi qui a été ensuite validée par le Conseil Constitutionnel, ce qui fait obligation (mais la lettre ne va pas jusqu'à le préciser) aux magistrats de l'appliquer sans aucune interprétation personnelle ou syndicale.
On ne peut qu'applaudir à cette marque d'autorité réaffirmée de la part d'une équipe gouvernementale qui est de droit le "patron" des fonctionnaires, ce qu'il conviendrait de rappeler plus souvent, même si dans le cas précis le principe d'indépendance de la Justice, un des principaux piliers de la démocratie, oblige à une certaine prudence. Mais l'indépendance des juges ne leur donne pas le droit de discuter, et encore moins de combattre, les lois dont ils ont constitutionnellement la charge de l'application... Il est bon quelquefois de le rappeler avec fermeté.
On peut comprendre que cette réaction de leur ministre les ait quelque peu surpris, eux qui n'étaient pas habitués à un tel comportement pourtant de bon sens. Leur syndicat majoritaire "s'étonne d'une conception à géométrie variable du droit de grève dans la magistrature développée à la Chancellerie", et rappelle que "lors du précédent mouvement de grève du 29 novembre 2007 sur la réforme de la carte judiciaire (…) aucune démarche similaire n'avait été entreprise par la garde des Sceaux". On pourrait simplement regretter que tel ne fût pas le cas à l'époque.
En outre, le Syndicat de la Magistrature estime que "la réaction (de Rachida Dati) illustre sa volonté de politiser une initiative purement syndicale". Re-voilà l'éternel argument fallacieux qui consiste à laisser supposer que "tout est permis" dans le cadre d'une "action syndicale". Et bien non, toute action, fût-elle syndicale, doit avant tout respecter la loi. D'autant plus me semble-t-il de la part de ceux qui ont pour charge de l'appliquer...
Le syndicat précise également qu'il maintient son appel à la grève. Grand bien lui fasse, et c'est son droit le plus strict. Il a cependant, je pense, grand intérêt à rester "dans les clous". La ministre (et derrière elle, n'en doutons pas, le Président) ne semble pas prête à faire marche arrière sur la question des principes.
Voilà un exemple de "travaux pratiques" de la part de l'équipe gouvernementale par rapport aux principes dont elle se réclame, et que les Français ont cautionnés au printemps 2007. C'est de bon augure. On n'était plus habitué à autant de cohérence. Pourvu que ça dure...