La science a pour habitude de mettre à mal nos illusions et d’ébranler nos idées toutes faites. Ainsi, c’est grâce à elle que nous savons désormais (entre autres) que la Terre n’est pas le centre de l’univers et que l’Homme n’est qu’un animal parmi tant d’autres.
Avec cet ouvrage, écrit par l’une des sommités de la neurobiologie allemande, le Pr Gerald HÜTHER, c’est au tour du sexe réputé « fort » de se voir remis en question en tant que tel.
La faute à quoi ?
D’abord, à la faiblesse du chromosome masculin Y que nos bien aimés mâles héritent de leur papa. Equipé d’un nombre dérisoire de gènes, ce malheureux chromosome ne sert en effet qu’à gérer la masculinisation de l’organisme par le biais de la testostérone. En sorte que, génétiquement, les mâles humains ne disposent que d’un seul chromosome riche en gènes, leur unique chromosome X (qui peut, par le biais de leur mère, soit être hérité de leur grand-mère maternelle, soit de leur grand-père maternel) ce qui les désavantage par rapport à l’autre sexe, porteur de son côté d’une double version de ce même X. Voilà qui explique la plus grande robustesse biologique du sexe femelle, beaucoup moins vulnérable pendant l’état fœtal et la toute petite enfance, beaucoup plus stable et résistant et donc doté d’une vie plus longue.
Autre révélation – encore plus surprenante – de ce livre : « jusqu’ici, au cours de notre histoire, les chances d’avoir une descendance étaient en moyenne toujours moins bonnes pour les hommes que pour les femmes », puisque « ce n’est pas chaque homme, loin s’en faut, mais en moyenne seulement un homme sur trois qui, au cours de l’évolution humaine, a pu se reproduire. L’humanité actuelle provient de deux fois plus de femmes que d’hommes. ».
C’est, d’après le Pr Hüther, cette compétitivité extrême et acharnée entre les mâles humains pour l’accès à la reproduction qui aurait sélectionné, au fil du temps chez eux une exacerbation du désir de « se distinguer », de « faire quelque chose d’original » pour attirer à tout prix l’attention de femelles très sélectives. Ainsi seraient peut-être apparues – ou à tout le moins se seraient développées- la créativité et la culture.
Le Pr Hüther, qui cherche, d’ailleurs, une explication biologique aux fonctions des deux sexes, définit de la sorte ce qui serait leur raison d’être fondamentale : aux femelles, la tâche spécifique de « conserver et assurer les acquis » génétiques et évolutifs, aux représentants du sexe mâle celle « d’essayer tout ce qui est possible », dans une sorte de permanente instabilité.
Il est tout de même fascinant de méditer ce qu’affirme l’auteur de cet ouvrage, à savoir que « nous descendons tous d’hommes qui, à un certain moment, ont su gagner de la considération et de l’importance dans une société donnée » en raison du statut social qu’ils ont été capables de conquérir et qui les a rendus « particulièrement attractifs pour les femmes » en terme de protection de leur progéniture.
Pour le neurobiologiste qu’est G. Hüther, cela ne fait aucun doute : « le cerveau des hommes se distingue en moyenne tant dans sa structure que dans certaines fonctions de celui des femmes ». Et – fait encore moins connu – cette différenciation cérébrale selon le sexe s’esquisse dès la période prénatale sous l’effet de l’action de la testostérone. Concrètement, dans la suite de la vie, cela se traduit par le fait que l’homme est affligé d’une « compréhension du langage […] inférieure » et d’une « perception de l’espace […] en moyenne plus élevée que les femmes », qu’il semble plus porté à l’abstraction que ces dernières, dont il se différencie également par une plus grande extraversion, une plus grande tendance aux comportements extrêmes – ainsi que par « des difficultés dans l’appropriation et dans l’ancrage neuronal de modes de pensée, d’émotion et de comportement complexes ».
Autres notables différences : les hommes – et ce dès le début de leur vie – manifestent davantage de « dynamisme », « trop peu de stabilité » et sont « davantage tributaires du soutien de l’extérieur », qu’ils passent leur temps à rechercher.
Car paradoxalement les garçons / hommes « ont besoin de plus de lien, de protection et de sécurité » que les filles / femmes. Ils ont en permanence soif d’être rassurés afin de pouvoir mieux affronter les innombrables défis qu’ils se fixent. Un peu comme si, suggère le Professeur, ils avaient une secrète conscience de leur fragilité plus grande, comme si, en somme, ils doutaient de leur utilité réelle, « les hommes, plus souvent que les femmes, veulent vraisemblablement PROUVER QUELQUE CHOSE AU MONDE, même si nul n’exige ou n’attend d’eux de telles preuves ». C’est là que, sans doute, se situe la racine de l’esprit d’entreprise qui a valu à l’humanité les grandes aventures qu’on lui connait, notamment l’extraordinaire action sur le monde qui nous entoure et la transformation qui en résulta.
Mais attention ! Ceux qui, dans une perspective simpliste, verraient dans un tel fonctionnement mental et dans un tel comportement des effets de « l’environnement » et/ou des gènes sont « à côté de la plaque » : « […] ce qui a changé depuis l’âge de pierre […] n’est pas dû à notre équipement génétique […]. Certes, les programmes génétiques permettent [tant chez l’homme que chez la femme] la formation d’un cerveau capable d’apprendre toute une vie durant, mais le genre de cerveau qu’un homme (ou une femme) obtient dépend de la manière dont il l’utilise et du but dans lequel il l’utilise. Cette utilisation varie à son tour selon l’environnement dans lequel il grandit selon les conditions qui lui sont données -imposées – pour se servir de son cerveau ».
Voilà qui est on ne peut plus clair, et d’une importance capitale.
L’être humain est trop complexe, trop subtil pour se laisser mettre en équations et le comprendre, c’est d’abord comprendre son cerveau, c'est-à-dire (en reprenant ici une formule d’Edgar MORIN) « comprendre la complexité ». Et, grâce à leurs études, les biologistes comprennent de mieux en mieux l’Homme !
Les maîtres-mots sont ici PLASTICITE, MIMETISME et LIEN SOCIAL, et le « théorème », s’il en est un, est « LE CERVEAU EST DETERMINE PAR LA FAÇON DONT ON S’EN SERT ».
Or, le jeune enfant est hyper-attentif à l’attente des adultes auxquels le lie un fort attachement. Soucieux de contenter ses éducateurs et ses proches afin de ne pas perdre leur « soutien », leur « reconnaissance » qui sont, pour lui, plus importants que tout, le petit garçon – plus encore que la petite fille – adoptera les conduites et les activités en rapport avec ce qu’ils attendent de lui. Ceci donnera lieu à des orientations mentales et comportementales sous-tendues, dans le cerveau, par ce que G.Hüther appelle des « ancrages neuronaux » (l’activation et l’utilisation fréquentes de certains « paquets de neurones » et de connexions neuronales font en sorte que ces derniers se trouvent fortifiés de façon à devenir, au fil du temps, automatiques et prépondérants ). C’est de cette manière que – très tôt – chez les humains, la société sculpte littéralement le cerveau de l’individu, et qu’elle nous « conditionne » ; par le biais de notre dépendance affective et de notre suréquipement (lui, biologique, inné) en « neurones-miroirs » (lesquels entretiennent, chez nous, le mimétisme).
Le débat sur « l’inné ou l’acquis ? » est ainsi en passe d’être dépassé.
En outre, s’il y a une caractéristique qui concerne l’Homme, c’est bien celle du « dilemme » entre le besoin de lien et le besoin d’autonomie.
Resté relié mais grandir…s’éloigner sans briser les liens…il semblerait, d’après Hüther, que le garçon puis l’homme fait soient encore plus concernés par cette difficile problématique que leurs consœurs.
L’homme comble sa soif de force, de pleine maîtrise de sa vie et de dépassement de soi en prenant des risques qui, quelquefois, au passage, peuvent lui coûter cher. A l’opposé, il éprouve le besoin non moins vital de se rassurer en s’appuyant fortement sur ses « machines qui ont un air surpuissant et qui peuvent faire des choses exceptionnelles », sur ses « copains » qui forment des groupes et des bandes à l’intérieur desquels il se sent protégé, ou/et « auprès de [sa] maman » ou encore de la femme avec laquelle il a choisi de former un couple.
Autant de preuves d’une vulnérabilité émotionnelle nettement plus marquée que celle de la femme. Nous en revenons toujours au bon vieil adage : « le guerrier a besoin de repos ».
Ainsi l’homme est-il bien moins sûr de lui qu’il pourrait, dans certains cas, le laisser croire. Ainsi apparait-il doté d’une faiblesse constitutionnelle qui pourrait bien se trouver à l’origine d’un certain nombre d’excès tels que l’abus du recours à la « force brute » (sous la forme de la violence) et la surenchère dans les défis qui est, peut être, à la source de la civilisation actuelle. Cette dernière pourrait devoir son existence à ces déséquilibres. A ce qu’Edgar Morin – toujours lui ! – nomme l’ « Homo Demens » en l’Homo Sapiens.
Un ouvrage qui, à bien des égards, ne peut que nous laisser tout songeurs…
P. Laranco