Elle avait eu de la chance : son père lui avait enseigné dès ses premiers pas à rester à l’écoute de ses cinq sens. Il lui avait fait là le cadeau le plus précieux, elle s’en rendait compte plusieurs fois par jour, surtout en mangeant : elle secoua les épaules car l’évocation de son père allait la rendre trop sensible et sourit en elle-même, en pensant à quelques repas de famille mémorables. Justement, le reportage suivant montrait des cuisines, du rouge, de l’acier, des éclairages sophistiqués et des commodes avec des grillages de poulailler. Il y manquait du pain de campagne, quelques bons fromages au lait cru, du saucisson ; dans les films français des années 70, les problèmes se dénouaient souvent à des heures improbables autour d’une omelette impromptue, accompagnée d’un verre de rouge et d’un camembert coulant. Est-ce que c’était cela être épicurienne? L’étiquette ne lui faisait pas peur, il y avait pire. Tout est lié, songea-t-elle, la sensibilité, la sensualité, une certaine idée de la beauté. Savoir goûter la saveur particulière d’unaliment, c’est aussi comprendre la virtuosité d’un solo de violon, la fugacité d’un arc-en ciel sur l’asphalte, l’aplat d’un vermillon sur une toile ou la caresse furtive dans le creux d’une épaule.(...)
Pour retrouver ma nouvelle dans son intégralité, " Du cœur à l'ouvrage", Editions de l'Aire, 2012, Tous droits réservés (en librairies, sur le site de l'Aire et puis sur Amazon, etc...)