Comme le faisait remarquer un récent (et excellent) article de Contrepoints, on ne manquera pas d’énergie avant un moment, et ici même, j’évoquais la piste des gaz de schiste, piste qui n’a pas manqué d’allécher le troll verdoyant sur mes terres pour une partie de chasse musclée. Aujourd’hui, je voudrais vous entretenir d’un effet secondaire intéressant de cette exploitation.
Avant de rentrer dans le vif du sujet, rappelons rapidement ce qu’est le gaz de schiste et comment on procède pour l’extraire.
Essentiellement, il s’agit de gaz naturel (du méthane) qui est piégé dans des roches poreuses (argileuses) suite à la décomposition de matière organique. Pour le récupérer, le procédé le plus couramment évoqué est celui du « fracking » : cela consiste essentiellement à effectuer des forages horizontaux dans la roche favorable en y injectant de l’eau sous forte pression. Cette dernière va provoquer un grand nombre de micro-fractures qui vont permettre au gaz de remonter par les forages effectués.
Pour optimiser l’efficacité des forages et de la fracturation, le procédé emploie de l’eau préalablement traitée avec différents composés dont la liste est disponible en détail dans ce PDF. Comme le montre l’image ci-dessus, on trouve ainsi de l’acide, de l’isopropanol, du distillat de pétrole, du sel (de potassium et de sodium), divers autres produits chimiques dont la liste exhaustive est fournie dans le PDF, et … de la gomme de guar.
Là où l’affaire devient directement intéressante pour mon billet, c’est que cette plante est essentiellement (à 80%) produite en Inde (Rajasthan, Punjab, …), qui en exporte autour de 600.000 tonnes par an. Et sur ces 600.000 tonnes, la majeure partie est utilisée par … l’industrie gazière.
Or, l’exploitation des gaz de schistes est actuellement en pleine croissance, d’une part aux Etats-Unis, et partout ailleurs dans le monde d’autre part, à commencer par l’Europe avec des gisements en cours de forage en Pologne.
Rassurez-vous : les secondes réserves les plus importantes, en France, ne seront consciencieusement pas exploitées pour permettre au pays de rester dépendant de ses importations, ne pas créer les milliers d’emplois correspondants et conserver des prix du gaz très supérieurs à ceux en vigueur dans les pays qui exploitent leurs ressources ; en effet, si le socialisme venait à manquer de pauvres et de chômeurs, l’économie du pays deviendrait subitement florissante et les électeurs renverraient les barons du collectivisme à leurs études, fort mal payées.
Pendant qu’en France, on s’évite ainsi de frôler le succès, les États-Unis ont stupidement décidé de devenir indépendant énergétiquement et sont en passe d’y parvenir. Cette croissance des exploitations et l’aubaine que représente une énergie pas chère auront permis la création de nombreuses richesses, à commencer par celle … des paysans indiens qui cultivent la fameuse plante verte.
« Le guar a changé ma vie », explique Shivlal, un petit producteur local qui s’est fait 300.000 roupies (5.400 $) — cinq fois son revenu annuel moyen — en vendant les graines qu’il avait plantées sur deux hectares de sol sablonneux dans l’état du Rajasthan. Ce petit capitaliste éhonté a spéculé comme un malade en plantant ses graines il y a quelques temps et a bénéficié d’une multiplication par dix des prix du guar, ce qui est, on en conviendra, assez scandaleux puisqu’il dispose maintenant d’une maison en dur et d’une télévision couleur, et envisage, toute honte bue, de faire même pousser les graines sur son toit. La cupidité de ces gens est sans borne.
Eh oui : d’un côté, des capitalistes sans freins ni lois percent le schiste et produisent du gaz à pas cher au point de reléguer les peurs de pénurie énergétique au rang de vaste blague malthusienne qu’elles n’ont jamais cessé d’être.
De l’autre, d’autres capitalistes profitent directement de l’hubris des premiers en produisant les produits qu’ils payent le prix fort sur le marché international, et sortent ainsi de la pauvreté tout en montrant que la mondialisation est bien ce monstre hideux dépeint par les humanistes poignant des mouvances socialisantes.
C’est, véritablement, scandaleux !
Pensez, une seconde, à toutes les générations futures qui ne payeront pas leur gaz à des prix stratosphérique ! Pensez à ces autres générations futures, issues des familles de paysans pauvres dont les enfants ne mourront pas dans d’atroces souffrances de la faim, de la dysenterie, du choléra ou d’autres maladies parce que leur père aura eu les moyens de s’acheter les équipements sanitaires et médicaux pour l’éviter ! C’est, véritablement, une catastrophe à la fois humanitaire (si l’on se rappelle que cela fera autant de bouches à nourrir plus tard, hein) et écologique (en notant que tout ce gaz qui va servir à produire de la chaleur et de l’électricité, c’est forcément autant de gros degrés celsius ajoutés à une atmosphère déjà irrespirable, voyons).
Autrement dit, tout indique ici que l’exploitation maintenant musclée du gaz de schiste provoque des effets de bords notables sur les individus qui exploitent les gaz d’une part, et sur les individus qui aident ces individus en leur vendant les produits dont ils ont besoin. Au fur et à mesure que les premiers mettent sur le marché une énergie à bas prix, les seconds sortent de la pauvreté de façon à la fois rapide et inattendue.
Nul doute que ce scandale trouvera un nouveau Josh Fox pour dénoncer le gaz de schiste au moyen de quelques torsions de faits vigoureuses, ou un nouveau Michael Moore pour dénoncer les impacts néfastes de l’enrichissement sur la société indienne du Punjab ou du Rajasthan.
En attendant, permettez-moi, avec toute la naïveté confondante du libéral capitaliste qui grignote des beignets d’enfants communistes en regardant des vidéos sur youtube, de penser que tout ceci améliore nettement le sort de l’humanité.