Salle 5 - vitrine 4 ² : les peintures du mastaba de metchetchi - 44. du lait divin pour les nouveau-nés royaux ...

Publié le 12 juin 2012 par Rl1948

Mais fils de sultan fils de fakir
Tous les enfants ont un empire
Sous voûtes d´or sous toit de chaume
Tous les enfants ont un royaume

Jacques BREL

Fils de ...

(1967)

dans Oeuvre intégrale,

Paris, Robert Laffont,

p. 300 de mon édition de 1982

     C'est précisément de royaume, partant, d'héritier de cour, qu'il sera question puisque j'ai, à partir d'aujourd'hui et au long des derniers mardis de juin à venir, dessein d'évoquer avec vous, amis visiteurs, la symbolique du lait divin dans le contexte de la royauté pharaonique.

   Prenant plus particulièrement prétexte, sur le fragment E 25515 que nous avons admiré ici dans la vitrine 4 ² de la salle 5 du Département des Antiquités égyptiennes du Musée du Louvre, de la scène de la traite d'une vache, je vous conviai à m'accompagner dans un incessant aller-retour des rives de Seine à celles du Nil antique en choisissant le lait comme guide : le 8 mai d'abord quand je vous proposai quelques généralités concernant sa valeur nourricière et le 15, ses applications prophylactiques et thérapeutiques.

   Entrant plus spécifiquement dans le détail, je poursuivis, le 22 du même mois en mettant l'accent sur le lait proprement maternel, qu'il fût d'une femme ayant donné naissance à une fille ou, plus apprécié encore, à un garçon.

   Enfin, dans la foulée, nous nous intéressâmes aux rituels pour lesquels il avait été grandement nécessaire : chez les particuliers dans un premier temps, chez les dieux mardi dernier.

   Divinités à nouveau mais aussi souverains nous accompagneront donc jusqu'à l'entame de nos vacances ...

   Que ce soit Mout d'abord, puis les autres déesses-mères, Isis et Hathor ; que ce soit, en fonction des nomes, Nephthys, Anoukis, Mertseger, Thouéris, Renenoutet, Neith, Sekhmet, Oubastet ; que ce soit Selkit, Nout, Hesat ou Sechat-Hor ; ou d'autres encore qui prirent l'aspect d'une vache telles celles, noires, dévolues aux âmes d'Héliopolis, les divinités susceptibles d'allaiter Pharaon font florès dès les Textes des Pyramides datant, pour les premiers, de l'époque de Metchetchi - puisque nous devons à Ounas, dont il fut un des fonctionnaires zélés, leurs premières représentations sur les parois murales de la chambre funéraire de sa pyramide.

   La notion d'allaitement appartint dès l'origine à Hathor, vache céleste par excellence. Ainsi, pour prendre un exemple que vous n'aurez pas manqué de remarquer si vous avez visité le temple d'Hatchepsout à Deir el Bahari - précisément consacré à la déesse Hathor -, les tableaux dans lesquels la reine a choisi de narrer ses origines divines.

   Nous sommes sur la deuxième terrasse, du coté nord. Après quelques scènes dans lesquelles Amon prédit la future destinée d'Hatchepsout (Maâtkarê) à sa mère Iâhmès ; Khnoum façonne l'enfant sur son tour de potier ; Heqet lui donne le souffle de vie en avançant le signe ankh vers ses narines ; Thot annonce à Iâhmès la naissance de sa fille ; Khnoum et Heqet emmènent la reine-mère au ventre arrondi vers le lieu de son proche accouchement, arrivent évidemment celles de la naissance d'Hatchepsout et de son allaitement par les nourrices divines, dont Hathor qui a pris l'apparence d'une vache.

     Et c'est là que vous pourrez lire des phrases comme : (Ô, ma) fille bien-aimée, (Maâtkarê), je suis ta mère qui a créé ta perfection. (Je) t'ai allaitée sur le trône d'Horus, la royauté de la Haute et de la Basse-Égypte. (Je) t'ai donné les années de l'éternité. (...)

   Ou encore : (Ô, ma) fille issue de mon corps, (Maâtkarê), (...) je suis ta mère, (mon) lait est doux. J'ai allaité Ta Majesté de mon sein, afin qu'il pénètre en toi en vie et puissance.

   Ou enfin : (J') ai allaité Ta Majesté  de mon sein, (je) t'ai remplie de ma puissance divine et de cette mienne eau de vie et de puissance. Je suis ta mère qui a nourri au sein tes membres, j'ai créé ta perfection. (...) Ta bouche se tendra vers mon lait afin que tu vives et que tu sois stable grâce à lui, que tu sois utile grâce à lui,  que tu sois efficace grâce à lui. Ainsi j'éloignerai le mal qui est contre toi.

   Au-delà de l'exemple du temple d'Hatchepsout que d'autres viennent corroborer, il est incontestable que la déesse à laquelle revint plus spécifiquement le rôle de mère nourricière fut Isis qui, grâce à son lait d'abord conféra vie puis souveraineté à Horus, le fils qu'elle eut d'Osiris.

Rôle déjà exprimé donc dès les Textes des Pyramides :

   Ton lait appartient à toi, le lait dans les seins de ta mère, Isis. (§ 734 b)

   Isis vient, elle a ses seins prêts pour son fils, le victorieux. (§ 2089 a)

   Par la suite, de nombreux monuments émaillant l'histoire de l'Égypte pharaonique évoqueront ou décriront, peu ou prou, ce geste divin ; geste qui, il faut le savoir, constitua un des thèmes fondamentaux de l'idéologie monarchique égyptienne dans la mesure où ce breuvage blanc, clair et doux, (comme le définit le § 381), qu'offraient les déesses nourricières était consubstantiellement messager de vie et de pouvoirs royaux. 

   Eminemment symbolique - naissance à une forme de vie nouvelle -, le lait procède de trois "étapes" particulièrement importantes pour tout souverain : sa mise au monde, bien sûr, je viens de l'indiquer, son couronnement mais aussi - loin d'être négligeable ! -, sa survie dans l'Au-delà.

     Point n'est besoin, je pense, de m'attarder davantage sur la nécessité de donner le sein à un bébé qui vient de naître, fût-il destiné à régner sur l'Égypte, que représentent, par exemple, les statuettes de jeunes princes, futurs maîtres du pays, futurs "Horus" donc, assis sur les genoux de la déesse ; ce que la littérature égyptologique appelle d'une dénomination latine : les Isis lactans.

   Ici, au Louvre, parmi d'autres, je vous invite à découvrir celle (E 3637), en bronze de 27, 40 centimètres de hauteur, datant de Basse Epoque, exposée dans la vitrine 1 de la salle 18.

   En revanche, comment comprendre semblable tétée quand il s'agit d'un grand adolescent ?

   C'est ce qu'il me siérait de vous expliquer lors de notre rendez-vous du 19 juin prochain.
 

(Bonhême/Forgeau : 1988, 85 ; Capart : 1912, 17 ;  Daumas : 1958, 178 et 455 ; Dessoudeix : 2012, 41-4 ; Forgeau : 2010, 54-6 et 77-80 ; Leclant : 1951, 123-7 ; ID. : 1961, 256-75 ; Mekhitarian : 1978, 38 ; Moret : 1902, 64 ; Tran Tam Tinh : 1973, 1-28)