Québec, 1893.
« - Appréhension, stupeur et tremblement.
- Que viennent foutre ces trois adjectifs en haut d’une chronique ?
- De « Tessellate » et « Breezeblocks » mon général.
- J’ai pas saisis un mot de ce que tu me viens de me dire, troufion.
- C’est Alt-J mon général. A chaque fois qu’on en parle sur ATD, on crée un dialogue.
- Et merde. Vu le nom que vous m’avez marmonné, ça m’a l’air de sentir la hipe sans lendemain. Je parie même que leur logo est un triangle, que les membres du groupe sont anglais, qu’ils sont jeunes et se sont rencontrés, à tout hasard, dans une école d’art.
- Vous avez raison mon général.
- Ne me dites pas qu’ils viennent de Leeds. Manquerait plus que ça et Lana Del Rey pourrait aller se rhabiller.
- Encore une fois mon général, vous dites vrai. Lana est justement retournée au vestiaire. Gus Unger-Hamilton, le mec au piano du groupe au raccourci-clavier, vient de la remplacer.
- Tabernacle. »
A l’image de ce dialogue sans queue ni tête, Alt-J nous transporte dans des contrées musicales loufoques. Avant d’aller plus loin, revenons en aux premières paroles qui avaient, elles, un sens : appréhension, stupeur et tremblement. Pourquoi de tels mots pour commencer une chronique sur Alt-J ? Parce que « Tessellatte » et « Breezeblocks ». Voilà six mois, ATD en faisait ses choux gras, inventant par là même un dialogue entre un père et son fils. Les morceaux, évidemment, plaisaient. Mais lorsqu’un album, intitulé « An Awesome Wave », apparaît, serti d’une introduction, de deux trois interludes et, au bas mot, de treize chansons, on craint le pire. Que les perles qu’on avaient aimées, appréciées et cajolées coulent en mer, au milieu d’un album décevant.
Mais il n’en est rien.
Un album efficace, changeant et atypique
« Comment parfaire une introduction ? » : voilà le manuel qu’auraient pu écrire puis réciter les membres d’Alt-J. Avec « Intro », ils plantent de la plus belle des manières les graines d’un album qui en demandait tant.
Et la galette poursuit sa route, sans frémir. Comme si Alt-J avait trouvé une méthode, une mixture magique, « Tessellate » revient nous caresser après une « (Interlude 1) » a cappella échappée dont ne sait où. Le piano est toujours aussi cinglant, la batterie de Thom Green (qui dit avoir été influencé par Deftones) aussi schizophrène et la voix de Tom Newman, si particulière. Il n’en faut pas plus pour retourner dans la cave de ces quatre qui n’ont jamais voulu refaire un son qu’ils avaient déjà entendu. Pas de revival rock des années 60. Ni de new wave des années 80. Tout reconstruire qu’ils nous disent.
Puis « Breezeblocks » et son tapage incessant, entre hauts et bas : le groupe nous fait monter sur son grand huit musical avec une pointe de fantaisie, comme si Disney s’invitait, la porte ouverte, dans un film d’horreur. Suivant ! « Something Good » relance alors en rythme et tout en souplesse « An Awesome Wave ». Le morceau est le plus intriguant de l’album : la batterie sonne comme une cavalerie, le piano sort de l’espace (on entend du Air) et le refrain est langoureux. On ne sait sur quel pied danser mais la structure de la chanson nous rattrape à chaque fois que les changements s’opèrent.
« Fitzpleasure » : voilà un titre bizarre pour une composition. Servi par un riff gargantuesque de basse , les Atl-J continuent à mener une danse entre Explosion in the Sky et des moments planants. Et après des interludes salvatrices, « An Awesome Wave » se termine avec deux petites douceurs, « Bloodflood » et « Taro », qui font penser à du Nirvana qui aurait rejoint de plein fouet les années 2010 : la nostalgie, la tristesse et la rancœur sont là. Pour « Taro », l’étrangeté de la production, aux relents indiens, et la voix, lui donnent un ton à mille lieux d’être sur Terre.
Les treize chansons terminées, on a apprécié le voyage. On navigue sur le net afin d’éclaircir le mystère Alt-J. On tombe sur un petit article. Au journaliste de Next Libération, le batteur Tom Green lâche :
«La suite sera sûrement différente. Maintenant qu’on sait ce qu’on sait faire, on va sûrement se lâcher un peu.»
Vivement.