Les aidants, ces “patients cachés”

Publié le 11 juin 2012 par Cathcerisey @cathcerisey

Lorsque mon diagnostic de cancer est tombé, la première idée qui m’est venue à l’esprit est : “Merci mon Dieu que ce soit tombé sur moi” ! Bien entendu je pensais à mes enfants que le sort avait épargné mais aussi, à mon mari qui allait immanquablement souffrir, pas comme moi, c’est certain, mais à côté de moi. 

Par la suite, à chaque visite, à notre entrée dans son cabinet, mon oncologue commençait par lui demander comment il allait. J’avoue que j’étais surprise, pour ne pas dire vexée, qu’il ne me pose pas la question en premier ! Parce que finalement, c’était moi la malade, la souffrante, celle qui passait ses journées au lit à vomir tripes et boyaux, celle qui se battait contre des cellules malignes agressives, c’est moi qui risquait ma vie.

Et puis le temps a passé… la récidive est arrivée, avec ces nouveaux traitements si lourds et qui, manifestement, allaient s’installer dans la durée  … La détresse de mon mari, à l’annonce de la rechute, a été immense : lui qui voulait croire que  tout était enfin fini, lui qui aspirait à retourner dans la vraie vie – celle insouciante des bien-portants – se rendait compte soudainement que le monstre était réapparu et le spectre de la grande faucheuse avec lui. Tout était à refaire sans aucune certitude de victoire ! En tant qu’ homme, plus introverti que jamais, en tant qu’ être humain aussi, culpabilisant de sa souffrance face à la mienne tellement plus évidente, il s’est recroquevillé, refusant toute aide extérieure.

Aujourd’hui, j’ai compris à quel point il avait pris sur lui, à quel point il avait souffert … seul ; et j’ai réalisé que mon cancérologue avait raison de lui poser la question. Lui, mon aidant le plus proche, devait tenir le coup afin que je puisse avancer de mon côté. Il se devait d’être là pour m’aider non seulement matériellement mais aussi psychologiquement sans jamais faillir. S’occuper des enfants, de l’intendance, répondre aux questions des proches, me soutenir, me soigner, s’oublier, pour que la terre continue de tourner malgré le tsunami qui nous avait frappés.

J’ai depuis, rencontré beaucoup de ces hommes qui eux aussi subissent un énorme stress, la plupart du temps en silence, et sans le moindre soutien.

Ce problème essentiel  commence a être pris en compte et une étude américaine dont les résultats ont été publiés en février dernier dans le journal “Brain, behavior and immunity” a porté sur le sujet . 32 hommes aidants d’une femme atteinte d’un cancer du sein environ 5 ans plus tôt, ont été interrogés sur leur stress après le cancer. 16  femmes avaient rechuté dans l’intervalle, 16 autres avaient un recul d’environ 6 ans sans récidive. La moyenne d’âge pour ces hommes était de 58 ans et ils étaient mariés depuis en moyenne 26 ans.

Le stress,  mais aussi les manifestations physique en découlant,  ont été évalués selon une échelle, l’Impact of Events Scale, qui s’échelonne entre 0 et 75. Il apparaît clairement que la rechute a un impact important sur le stress du conjoint puisque ces derniers affichent un score de 26,25 contre 8,9 chez les autres.

De plus les symptômes liés à ce stress (comme céphalées, fatigue, toux, nausées et problèmes intestinaux….) sont au nombre de 9 pour les aidants de femmes qui ont récidivé versus 5 dans l’autre cas. Enfin, les hommes au plus haut niveau de stress avaient des réponses immunitaires amoindries.

Ces hommes sont appelés par certains médecins aux USA les “patients cachés”. Il est évident qu’ils doivent être aidés aussi afin de continuer à être présents aux côtés de leurs épouses. Faute de quoi, nous assisterons malheureusement à de plus en plus de problèmes de couples qui se surajoutent à ceux de la maladie. Encore faut-il que ces hommes acceptent de faire face à leur détresse et qu’ils ne refusent pas l’ aide éventuelle d’un professionnel.

En France L’”Université des aidants“, est un projet dirigé par mon amie Sylvie Roussel, Chargée de Mission Innovation-Solidarité au département du Val de Marne. Elle  travaille sur cette problématique des aidants – pas nécessairement dans le domaine du cancer et sans se restreindre aux conjoints  - et utilise les nouvelles technologies afin de les aider à mieux vivre… J’ai eu le grand plaisir de tourner pour elle avec Dominique Noël présidente du comité d’organisation du festival de la Communication santé et le Professeur Franck Chauvin cancérologue , cette petite vidéo lors de la conférence Doctors 2.0 and you.

Sans nos hommes, sans les aidants au sens général du terme, il nous est encore plus difficile de nous battre. Eux aussi ont besoin de soutien! Il ne faut pas les abandonner parce qu’ils nous sont indispensables. Et je suis heureuse de voir que les choses commencent à bouger là aussi .

Catherine Cerisey

Source : le quotidien du médecin

Illustration : la maison du cancer