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La montagne couronnée (2)

Par Montaigne0860

Où la fiancée du vent fait ses mines.

Le visiteur tourneboulé par les crachottis diesel du train qui le projette aux pieds de la montagne, découvre une éminence striée de marches, dents de pierre qui grignotent la butte ; le regard monte encore et la découpe noire sur le ciel de mars, pour peu qu’il pleuve, surgit comme l’aplomb d’une guillotine ; la raucité du vent agitant les paulownias de la poste crie que l’assaut de cette forteresse est prosaïque et sans fortune. A deux cents pas de la couronne, l’étranger, il faut le dire, est franchement déçu par ces deux tours meurtrières qui offusquent l’essentiel. Il y rôde un tremblé ; l’abrupt du mur cathédrale ourlé du rempart d’où dévale l’escalier moqueur, ne suscite aucune envie ; je suis venu pour rien, songe-t-il vexé.

Venu de Paris, encore plein du dialogue profus et plus que centenaire entre les meulières d’Haussmann et les eaux de la Seine, il cale devant cette ténèbre d’où rien d’autre ne descend que l’appel à l’effort… immense escalier, très peu pour moi. Il s’assure qu’il a bien le billet de retour en tapotant sa poche intérieure puis emprunte sceptique le petit train sans chauffeur qui le hisse là-haut en cahotant sur son câble (les soubresauts impromptus sont souvenirs des bœufs qui tirèrent les pierres par à-coups). Une fois sur la plage où la cité a pris ses aises, son pas le pousse à gauche, à droite, la cathédrale a disparu. Il longe la couronne des remparts, s’angoisse toujours sur la bonne direction ; il redécouvre d’en haut la gare d’où il vient, jeu d’enfant accolé aux cultures qui glanent les pluies, tapis damier fuyant vers l’horizon, souffle rustique à l’infini ; tout juste si l’on ne devine pas la courbure de la terre lorsque les camions fourmis s’enfuient là-bas sous les bras des éoliennes folles et s’effacent imperceptibles et sûrs.

L’aventure enfin, murmure-t-il.

Les venelles à sa droite lui font des signes crescendo, l’avance palpite sur les cours intérieures somptueuses où le premier soleil se risque, puis d’un coup, sans prévenir, c’est toute la façade qui accourt : la terreur s’empare de lui. Toujours devant le beau absolu la même panique ; il se souvient d’un portrait de jeune fille par Léonard : il avait été effrayé parce qu’il avait cru d’abord qu’elle était vivante ; ici, la cathédrale bascule et au premier regard sur la façade il songe naïf : pas de chance, j’arrive et juste à ce moment elle croule sous mes yeux alors qu’elle était là depuis neuf cents ans bientôt ! Est-ce ma faute ? La fée du logis le dévore : j’ai dû faire une erreur, j’ai dû trop la négliger quand je l’ai vue d’en bas… elle se venge, elle lâche tout, elle se moque de moi, elle n’attendait que moi pour s’effondrer ! L’habitué de Reims, d’Amiens, de Paris, de Chartres, là où tout est immense, droit, prestigieux et lisse, est éberlué par la maladresse du carré du sol qui veut se faire rond dans l’ascension des tours ; c’est sans étonnement qu’il découvre les bœufs, car il lui semble qu’en effet la façade est labourée, traînée vers le haut par une suite de bricolages croisés, son regard avance puis recule, comme un zoom qui ne trouverait jamais la bonne distance pour deviner les maléfices de ce vertical constamment chamboulé. Calé sur le mur du fond de la ruelle, il prend son temps, ses systoles diastoles redeviennent inconscientes, et l’émotion qu’il attendait vient enfin : oui, je sais, oui, je vois ce qu’ils ont voulu faire, c’est mieux que bien, rien n’est plus beau que le printemps non encore déclaré, on est en mars, cette cathédrale est pile sur la saison, tu es la lumière cherchée, avec tes yeux creusés, tu n’as pas peur de monter même sur des échafaudages de fortune, c’est un appel du chat qui grince, gémit dans l’ascension, obéit à l’amère loi de raison contre la passion de monter encore et meurt dans les nuages qui l’effleurent en riant.


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