Non, mon ami, n’y songez plus.
Ce que vous demandez, me dégoûte.
On dirait, somme toute,
Que Dieu a voulu
Gâter tout ce qu’il y a de charmant
Dans l’amour
En y joignant quelque chose d’horrifiant.
Il nous avait donné le bel amour
Mais le trouvant sans doute trop correct,
Il a imaginé les sens.
Ils sont brutaux, ces sens,
Révoltants et abjects.
En les mêlant aux ordures de la chair,
Il a ôté à l’amour son beau mystère.
Il l’a enveloppé d’un acte affreux,
Véritablement honteux.
Il l’a façonné avec un tel mépris
Qu’en en parlant, j’en rougis.
Les caresses révoltent mon âme,
Blessent mes yeux de femme.
Certes, je me plais près de vous.
Votre regard m’est doux
Mais du jour où vous aurez
Obtenu de moi ce que vous désirez,
Vous me deviendrez odieux ;
Le lien qui nous attache tous deux
Sera définitivement brisé.
Je vous l’assure : entre nous,
Un abîme d’infamie sera creusé.
Votre amie, Claire de Lanoux.
Mon amie,
Ma chérie,
Permettez-moi de vous parler brutalement
Sans ménagements galants
Comme je parlerais à une demoiselle
…Qui voudrait prononcer des vœux perpétuels.
Vous connaissez
Ces vers de Musset :
Je me souviens encor de ces spasmes terribles,
De ces baisers muets, de ces muscles ardents,
De cet être absorbé, blême, serrant les dents.
S’ils ne sont pas divins, ces moments sont horribles.
Votre dégoût je l’éprouve quand,
Emporté par l’impétuosité du sang,
Je me laisse aller à des accouplements
D’aventure. Mais quand une femme
Est pour moi l’être d’élection,
Au charme constant,
Àl’infinie séduction
Comme vous l’êtes, je proclame
Que la caresse devient, avec ferveur,
Le plus complet des bonheurs.
Si après l’étreinte notre ardeur s’éteint,
Oui, nous nous trompons.
Mais si elle grandit, nous nous aimons.
Les baisers froids et violents
Sur des lèvres inconnues,
Les regards fixes et ardents
Vers des yeux qu’on n’a jamais vus
Confèrent une amère mélancolie.
Je vous l’accorde, c'est dit.
Mais quand deux amants
Sont unis par un véritable amour,
Quand ils pensent l’un à l’autre longtemps,
Toujours,
Quand, lors d’un éloignement,
Vous apparaissent
Sans cesse
Le visage, la voix, le sourire
De l’être aimé,
Songez-y, n’est-il pas naturel,
N’est-il pas confirmé
Qu’au retour (moi,
Je le crois.)
Les lèvres s’unissent avides de désir,
Les bras s’ouvrent, les corps se mêlent ?
N’avez-vous jamais eu envie d’un baiser ?
Dites-moi si les lèvres
N’appellent pas les lèvres ?
C’est un piège. Je sais.
Mais si la Nature nous donne la caresse,
Ne serait-ce
Que pour nous forcer
À éterniser
Les générations ?
Non ?
Alors, volons-lui !
Faisons-la notre, raffinons-la,
Idéalisons-la.
Aimons la caresse comme le fruit
Qui parfume la bouche, comme la liqueur
Qui grise notre humeur.
Trompons la Nature. Faisons plus
Qu’elle n’a voulu,
Plus qu’elle n’a osé nous enseigner
Sans nous soucier de ses desseins premiers.
Prenons cette caresse délicieuse
Et travaillons-la
Comme une matière précieuse.
Perfectionnons-la
Jusque dans ses impures combinaisons,
Jusque dans ses monstrueuses inventions.
Laissons les moralistes prêcher la pudeur,
Les médecins conseiller la prudence,
Les poètes chanter l’immatériel bonheur.
Laissons les femmes laides à leur conscience
Laissons les prêtres, les moines, les frères
À leurs commandements pieux
Et les hommes à leurs travaux oiseux.
Abandonnons aux doctrinaires.
Leur philosophie fourre-tout,
Et nous, aimons la caresse avant tout !
Celle qui ranime, affole, épuise.
Celle qui est plus légère que la brise.
Et, Madame, si vous souhaitez
Que je vous dise une vérité,
La voici : les seules femmes heureuses
Sur cette terre piteuse
Sont celles à qui
Nulle caresse ne manque.
Les autres, celles pour qui
Les caresses sont mesurées ou rares,
Incomplètes ou bizarres
Vivent harcelées par mille tourments,
Par des tas d’événements
Qui deviennent des chagrins.
Les femmes bien caressées n’ont besoin de rien,
Ne désirent rien, ne regrettent rien
Car la caresse remplace tout,
Guérit de tout, console de tout.
Votre ami, Damien.