À l’occasion du décrochage de l’exposition de photos de Milomir Kovacevic, venez retrouver l’auteur bosnien Faruk Šehić à la librairie Comme un roman (39 rue de Bretagne 75003 Paris) le samedi 9 juin à partir de 18H pour une rencontre informelle autour “Des 20 ans de la guerre en Bosnie”.
L’auteur bosnien Faruk Sehic est actuellement en résidence à la Maison des Écrivains étrangers et des Traducteurs (Meet) de Saint-Nazaire jusqu’au 13 juin. Depuis son premier passage dans cet établissement en 2006 à l’occasion des Rencontres internationales dédiées à Sarajevo et Mexico, la Meet a été édité “Deux divinités méconnues”, texte dans lequel Faruk Šehić évoque la prégnance de la guerre dans son écriture, ainsi que les figures littéraires qui ont marqué son parcours. Par ailleurs, la Meet étudie actuellement un autre projet d’édition de plus grande ampleur de ce jeune écrivain dont les textes littéraires ont déjà été traduits en plusieurs langues.
Faruk Šehić vit entre Sarajevo et Zabreg, mais il est né à Bihac, en 1970. Il a été soldat dans l’armée de Bosnie-Herzégovine. Il écrit de la poésie, de la prose, des essais et des critiques littéraires qui ont été publiées dans une vingtaine de magazines littéraires en ex-Yougoslavie. Sa poésie et sa prose ont été traduites en français, notamment son récit de guerre Sous pression , traduit par Olivier Lanuzel. Toutefois, à l’exception d’une sélection de poèmes extraits de son recueils de poèmes “Hit depo” publiés par la Meet, ce recueil – pour lequel il a obtenu le prix des Rencontres internationales du livre à Pazin en Croatie – demeure encore inédit en langue française. Toutefois, ses nombreux textes et ouvrages ont été traduits en allemand, en anglais, en hongrois, en macédonien, en polonais et en slovène.
Šehic, de guerre et de poésie
Une accélération de trajectoire avant quoi écrire ne relevait que de « l’exercice ». Entre 1992 et 1995, Faruk Šehić a « vécu » la poésie de la guerre sur le sol de sa Bosnie natale. Depuis, sans doute, au détour de tel ou tel souvenir dans la conversation, un clignement de paupière, un tressaillement trahissent chez lui ce va-et-vient primordial entre la langue et la chair au sein d’un combat qu’à l’évidence, il ne lâchera plus. Ses textes parlent de cellules mortes et vives, d’insectes admirés en marge de champs de bataille et de super-héros revenus de leurs super-pouvoirs. « Les rossignols finissent rôtis sur le gril des restaurants Mac Donald », conclut énigmatiquement un de ses poèmes titré “Salut”. Naturaliste entre deux « chaos des sens », l’écriture de la vie revient toujours, fidèle, sous sa plume, à son modèle grave et exaltant. Sinistre, belle et explosive comme les météorites reconnues, familières, dans le ciel d’un de ces autres poètes guerriers qu’a couvés l’histoire, Guillaume Apollinaire, découvert par l’apprenti soldat au lendemain de son engagement. En ce mois de mai incertain, aux abords de la base sous-marine de Saint-Nazaire, à deux pas de la Maison des écrivains étrangers et des traducteurs, où il séjourne jusqu’à la mi-juin, le quadragénaire passerait facilement pour un travailleur maritime, avec son ample veste kaki, son jean bleu ciel et son anglais à consonance bosniaque. Loin de la notoriété acquise dans les rues de Sarajevo, où cet éternel enfant de la guerre – il n’avait que 22 ans quand il s’est vu conduire une trentaine d’hommes au front – s’est hissé au rang des écrivains à succès ces dix dernières années. Paru en 2003, son deuxième livre de poésie est vite devenu un best-seller auprès des jeunes générations d’ex-Yougoslavie. Sur scène, les textes de “Hit depo” font littéralement « rire » le public, souligne l’auteur fanfaronnant, entre deux moues un rien maussades.
Un couronnement inespéré pour cet inconditionnel du vers face au « diktat de la prose à bon marché ». Qui, à l’image de ces SMS et de ces mails, où ses lecteurs lui témoignent leur reconnaissance pour les aider à survivre dans l’après-guerre, surpasse « toutes les récompenses littéraires » aux yeux du natif de Bihac. Car c’est à l’évidence une de ses obsessions. Offrir à ses pairs ce réconfort que lui ont hier offert les textes de guerre d’Apollinaire et de Cendrars. Lorsque lire le soir, l’uniforme tombé, servait d’abord à galvaniser le corps, propulsé sur le front le lendemain. Lorsque puiser l’énergie vitale des textes autobiographiques d’Henry Miller aidait avant tout chose à tenir sur ses deux jambes, alimentant, jour après jour, « l’envie de vivre » nécessaire pour ne jamais flancher. Frappé du fameux PTSD (Post-Traumatic Stress Disorder), à l’image de nombreux survivants du conflit éteint en 1995, Faruk Šehić s’attache aujourd’hui à ces images qui impriment continuellement le regard pour rejaillir en poésie, transformant la vie en perpétuel « affairement des sens et de la pensée ». « Presque tous les jours, à Sarajevo, je bois un café en terrasse face la rivière Una, aux eaux cristallines. Certains croient sans doute que je ne fais rien, mais je regarde les choses. Mon écriture procède de manière très visuelle, comme un montage de film, avec des zooms et des dézooms. » Avec cette obsession récurrente du détail, ce que l’on voit lorsque le monde perd son sens dans sa globalité, d’où de nouveaux horizons de signification émergent, aussi. Mais pour l’heure, la star littéraire bosniaque se prépare à la promotion de son premier roman, dont le titre français demeure encore inconnu. Et pour cela, à son habitude, il entend bien célébrer l’urgence de l’existence. Cela fait un moment, déjà, que Faruk vit au « temps zéro ». Et c’est à la manière de deux de ses protagonistes, attablés en terrasse dans un poème de “Hit depo”, que nous commandons « deux bières bien fraîches », avant de nous saluer.
Par Caroline Heurtault
Publié par L’Estuaire