Le pays a lancé un plan ambitieux pour promouvoir l’énergie solaire. Mais les conséquences pour l’environnement restent incertaines.
Par Emmanuel Derville, à New Delhi. Paru dans la Libre Belgique le 21 mai.
Gurgaon, banlieue sud de Delhi, 1,5 million d’habitants. En mai, les coupures de courant sont de retour. Avec l’arrivée de l’été, le thermomètre dépasse les 40 degrés et la consommation électrique explose, dopée par les climatiseurs et les ventilateurs. Pour pallier les insuffisances du réseau, les commerces et les résidences font ronronner leur générateur diesel. L’Inde est confrontée à des pénuries d’électricité qui freinent son développement économique. Pour combler le déficit, le gouvernement fédéral et les Etats du pays font feu de tout bois.
En janvier 2010, le ministère des Energies renouvelables a publié un plan de développement de l’énergie solaire. D’ici à 2022, le pays ambitionne de se doter d’une capacité de production de 20 000 MW. Cela représente 23 % de la consommation électrique belge sur un an. En décembre dernier, le gouvernement fédéral a lancé un appel d’offres pour la production de 350 MW d’électricité d’origine solaire. Les investisseurs se précipitent. D’après une étude de l’agence “Bloomberg New Energy Finance”, 4,2 milliards de dollars ont été investis dans le solaire en Inde l’année dernière; 600 % de plus qu’en 2010 ! Certes, l’Inde part de très loin. Moins de 1 % de l’électricité produite est d’origine solaire. Les Etats du pays ne sont pas en reste. Ainsi, celui du Gujarat, dans l’Ouest, a inauguré une centrale solaire de 200 MW le 19 avril dernier.
Mieux, l’électricité solaire est plus compétitive que celle produite par les générateurs diesel, qui coûte 17 roupies par kwh (25 centimes d’euro). Durant l’appel d’offres émis en décembre, l’entreprise qui l’a emporté s’est engagée sur un tarif de 7,5 roupies par kwh (11 centimes d’euro). Un prix bas qui s’explique par une concurrence acharnée entre les acteurs pour rafler le marché du solaire. “Les entreprises qui répondent à ces appels d’offres tablent sur le fait que, ces dernières années, les prix des équipements solaires ont beaucoup baissé”, explique Ashish Sethia, analyste chez “Bloomberg”. “Elles pensent que cette tendance va se poursuivre. Donc, entre le moment où l’appel d’offres est attribué, et celui où les panneaux solaires sont commandés, la baisse des prix devrait se poursuivre.” Certaines entreprises, comme l’indien Azur Power, ont également pu emprunter à des banques étrangères ou à des institutions internationales, comme la Banque asiatique de développement. Avantage : les taux d’intérêt sont inférieurs à ceux des banques indiennes qui dépassent les 10 %.
La ruée vers le solaire va-t-elle se poursuivre ? Tout dépendra de la capacité des acteurs à rentabiliser leur investissement. Problème : les entreprises de distribution de courant sont des compagnies publiques très endettées. Le gouvernement central a bien mis en place un fonds de garantie pour protéger les producteurs contre les défauts de paiement. Et l’électricité d’origine solaire est, quoi qu’il arrive, facturée au consommateur final. Mais ce mécanisme n’existe pas pour les projets décidés dans les Etats de la fédération. Le Tamil Nadu, dans le sud de l’Inde, veut, par exemple, encourager la production solaire. Mais ses finances sont dans un état catastrophique, et il n’est pas sûr qu’il ait les moyens de subventionner l’énergie solaire.
Il n’y a pas que la rentabilité qui pose problème. Quelques mois après l’annonce du plan solaire par le gouvernement fédéral, le Prayas Group, un centre de recherche basé à Pune, dans l’Ouest, a prévenu : “Pour que le plan solaire réussisse, il faudra équiper en systèmes solaires le tiers de la population indienne qui n’a pas accès à l’électricité. [ ] Or, seulement 7 % des subventions allouées serviront à équiper les régions rurales défavorisées.” Depuis, le gouvernement fédéral a revu sa copie. “Il y a une volonté d’encourager davantage le solaire pour les régions rurales”, concède Ashwin Gambhir, chercheur au Prayas Group et coauteur d’une étude sur le sujet.
Reste à savoir si cela sera bénéfique pour l’environnement. Dans un article publié l’année dernière dans la revue “Energy Policy”, deux chercheurs américains constataient qu’avec le déploiement des systèmes solaires en Inde et en Chine, les foyers stockaient le courant sur des batteries, faute d’un réseau électrique performant. Mal recyclé, le plomb contenu dans les batteries contamine l’air. L’article estimait que 22 % se retrouvaient dans la nature. Les conséquences pour la santé sont parfois dramatiques : troubles du développement intellectuel chez les enfants, avortement prématuré chez les femmes enceintes…
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