Ecoute-moi:les poètes à lauriersn'évoluent que parmi les plantesau nom peu usité:buis troènes ou acanthes.Pour moi, j'aime les routesqui mènent aux fossés herbeuxoù dans les flaques à moitié asséchéesles gamins attrapentquelque chétive anguille:les sentiers qui longent les abruptsdescendent entre les touffes de roseauxet donnent dans les enclos, parmi les citronniers. Tant mieux si le tapage des oiseauxs'éteint englouti par le ciel bleu:plus clairement on écoute murmurerles branches amies dans l'air qui bouge à peineet on goûte cette odeurqui ne sait pas se détacher de terreet inonde le cœur d'une douceur inquiète.Écartées d'ici, les passionsfont par miracle taire leur guerre,ici revient même à nous pauvresnotre part de richesseet c'est l'odeur des citrons. Vois-tu,en ces silences où les chosess'abandonnentet semblent prèsde trahir leur ultime secret,parfois on s'attendà découvrir un défaut de la nature,le point mort du monde,le chaînon qui ne tient pas,le fil à démêler qui enfin nous conduiseau centre d'une vérité.Le regard fouille tout autour,l'esprit enquête accorde séparedans le parfum qui se répandà mesure que le jour languit.Ce sont les silences où l'on voiten chaque ombre humaine qui s'éloignequelque Divinité qu'on dérange. Mais l'illusion cesse et le temps nous ramènedans les villes bruyantesoù le bleu se montre par pans, seulement,là-haut, entre les toits.La pluie fatigue la terre, ensuite;l'ennui de l'hiver accable les maisons,la lumière se fait avare, amère l'âme.Quand un jour d'une porte cochère mal ferméeparmi les arbres d'une course montre à nous le jaune des citrons;et le gel du cœur fond,et en pleine poitrine nous déversentleurs chansonsles trompettes d'or de la solarité.
Eugenio Montale, Poèmes choisis 1916-1980 (coll. Poésie/Gallimard, 1999)
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