Tout l'après-midi, quelques militants UMP avaient réactivé leurs comptes Twitter pour faire fuiter, en langage codé, quelques prédictions sondagières interdites issues de sites d'information belges ou suisse. Ils nous promettaient une UMP largement en tête du scrutin. Il n'en fut rien. Les prétendus gaullistes qui faisaient campagne pour la cohabitation en furent fort marri. Leur camp était en passe de perdre ce troisième tour électoral.
Le second échec de Sarkozy
«Pari gagné pour le PS et ses alliés, qui arrivent en tête » titrait le Figaro au soir du premier tour. Dans la soirée, les premières estimations donnaient 35% au Parti socialiste (contre 24,5% en 2007), 5% à son allié écologiste EELV (3,3% en 2007); 8% au Front de Gauche (versus 4% pour le PCF en 2007). Pour le camp écolo-socialiste, la progression est d'environ 13 points par rapport au même scrutin ! Six ministres, dont le premier, avaient été élus au premier tour, tout comme 13 autres députés de gauche (contre 8 à droite).
L'UMP ne pouvait même pas se féliciter d'être arrivé en tête de ce premier tour. Avec 35% des suffrages, elle faisait jeu égal avec le PS qui pourtant présentait moins de candidats pour cause d'alliance à gauche. En 2007, le parti unique de la droite avait atteint près de 40% des suffrages exprimés au premier tour (39,54%). L'UMP avait donc perdu 5 points en 5 ans, limité les dégâts, et même recouvré quelques couleurs par rapport au score de Nicolas Sarkozy le 22 avril dernier.
Bref, ce scrutin confirmait le référendum anti-Sarkozy du 6 mai dernier.
La France radicalisée ?
Le Rassemblement Bleu Marine n'atteignait plus les 17% du premier tour présidentiel. Avec 13% des votes exprimés (contre 4% en 2007), le parti frontiste faisait presque aussi bien qu'en 1986 mais un réflexe de survie utile en faveur de l'UMP avait clairement joué en quelques semaines. A cause de l'abstention, le nombre de triangulaires était tombé plutôt bas, une trentaine à peine.
Marine Le Pen à Hénin-Beaumont, sa nièce Marion Maréchal-Le Pen dans la 3ème circonscription du Vaucluse, et l'avocat Gilbert Collard dans la 2ème circonscription du Gard, étaient seuls en tête devant l'UMP et le PS.
Plus globalement, l'UMPFN rassemblaient donc une grosse moitié des suffrages exprimés. Le centre indépendant avait quasiment disparu: le Modem de François Bayrou subissait en effet un nouveau revers, avec 2% des suffrages (contre 7% voici 5 ans). Et son leader n'était même pas certain de l'emporter à cause d'une triangulaire dans son propre fief.
Responsabilité médiatique
L'abstention fut élevée: plus de 4 Français sur 10 ne s'étaient pas déplacés. Le score était plus élevé qu'en 2007 (42% contre 40%). La campagne, disait-on, n'intéressait pas grand monde. Il est vrai qu'elle n'apportait pas d'arguments nouveaux à la précédente. Ce mécanisme institutionnel est une souffrance pour l'électeur. Le camp perdant à l'élection présidentielle s'échine à convaincre qu'il aurait dû gagner. Le gagnant réclame une majorité pour appliquer le programme sur lequel il a remporté la présidence.
Mais cette fois-ci, les médias portaient une responsabilité plus importante. L'attention médiatique s'était concentrée sur des choses futiles, quelques prétextes de communication lancés ici ou là, les premiers pas de la présidence normale de François Hollande. Bien sûr, ce dernier a rapidement voulu afficher quelques ruptures symboliques à chaque fois qu'il le pouvait (déplacements, composition du gouvernement, photo officielle, charte, premiers décrets). Il fallait normaliser le fonctionnement institutionnel du gouvernement.
Mais les commentateurs politiques, pour une large part, se jetèrent sur le futile et le symbolique jusqu'à l'écoeurement. Cette présidence normale, qui n'aurait dû susciter que quelques commentaires normaux, a généré d'interminables analyses lassantes et inutiles. Pire, Nicolas Sarkozy lui-même, bien que retiré de la scène politique dès le 7 mai au matin, fut l'objet de commentaires-fleuves à l'occasion de la moindre de ses apparitions. Le JDD, voici 8 jours, lui consacra même sa une !
Pourtant, les sujets sérieux ne manquaient pas. Quel média a-t-il consacré quelques pages ou minutes d'antenne à la description des programmes législatifs des différents candidats. Le programme ecolo-socialiste était connu, certes. Mais celui de l'UMP avait été masqué pendant la présidentielle.
L'autruche UMP
« Mes premières pensées vont pour tous nos candidats de l'UMP et du Nouveau Centre.». Jean-François Copé répéta l'argument sur toutes les ondes, toutes les chaînes. Lui-même, dans sa circonscription de Meaux, n'avait pas été réélu dès le 1er tour. Mais il était assuré d'une victoire au second, avec 45% des suffrages. Il voulait aussi et surtout s'assurer les faveurs de l'appareil contre son rival François Fillon. « Beaucoup de Français sont en fait très préoccupés. (...) Beaucoup se sont inquiétés des promesses de Monsieur Hollande.» Concernant les circonscriptions où l'UMP avait été disqualifiée, le secrétaire désigné de l'UMP refusa de répondre: « En ce qui concerne les situations éventuelles de duels, et bien, on verra demain.»
L'UMP avait convié un bureau politique à 15 heures, deux heures avant celui du FN. C'était bien commode. L'ancien parti sarkozyste refusait donc de se prononcer ce soir-là en cas de duel FN/PS. L'idée d'un bureau politique demain après-midi était la dernière parade du moment.
Nadine Morano soulignait sa proximité de valeurs avec le Front national: «La triangulaire est évitée (...). Je voudrais appeler les électeurs du Front national qui partagent nos valeurs, mes valeurs, à se retrouver sur ma candidature au second tour ». Dans la 16ème circonscription des Bouches-du-Rhône, le candidat UMP disqualifié, Roland Chassain avait expliqué au journal d'extrême-droite Minute que « si Mme Laupies est en mesure de gagner, il n'y aura pas de front républicain. (...) Pour moi, c'est tout sauf Vauzelle! ».
A Bordeaux, Alain Juppé, qui n'était pas candidat, excluait à l'inverse tout rapprochement avec le FN.
Qui fallait-il croire ?
Dans quel état Nicolas Sarkozy avait-il laissé l'UMP ?