Il reste quelques jours encore pour admirer les " Belles Heures" du duc de Berry, avant qu'elles ne regagnent le Métropolitan Muséum of Art de New-York pour être remontées dans leur reliure. Le grand avantage de la carte des Amis du Louvre est de pouvoir se décider au dernier moment pour aller aussitôt voir une exposition, et surtout ne pas faire la queue !
Il faut cependant se mettre tout près pour détailler chacun des 47 bifolios de cet exceptionnel livre, pour apprécier la délicatesse des détails fins comme des cheveux d’ange, les nuances infinies des couleurs, le réalisme de certains dessins comme cette belle femme glissant sa main dans les chausses d’un seigneur, ou Hérodiade attendant avec son plateau à la main qu’on lui tende la tête de Saint-Jean-Baptiste tout juste décapité…
Ces enluminures ont été exécutées entre 1405 et 1409 par les frères de Limbourg, la seule commande du duc de Berry qu'ils réalisèrent dans leur totalité, contrairement aux fameuses " Très riches Heures" laissées inachevées. A dire vrai, j’ignorais qu’il existait d’autres livres d’heures, et ne connaissais jusqu’ici que les « Très riches », partout reproduites pour illustrer les livres d’histoire du Moyen-Âge.Ce livre d'heures là reste l'un des plus remarquables du duc de Berry, en raison non seulement de la beauté exceptionnelle de ses enluminures, mais aussi des innovations que les frères de Limbourg ont apporté, notamment dans les compositions, la conception de l'espace et la narration. C’est un délice de regarder ces tableaux miniatures, une vraie bande dessinée, commandée par un seigneur des plus magnificents, amateur d’art et mécène.
Fils du roi Jean le Bon, frère de Charles V, oncle de Charles VI, Jean de Berry resta toujours sur la deuxième marche du pouvoir. Sa principauté étant tenue en apanage, il ne pouvait la laisser qu'à ses fils, mais ceux-ci moururent avant lui. Pendant sa très longue vie (1340-1416), d'une durée exceptionnelle pour l'époque, il n'eut donc d'autre politique que de travailler pour le service de la couronne. Faute d'être roi de France, Jean de Berry devint le prince des arts, l'un des plus importants collectionneurs de son temps. Il commande ou achète des objets aussi nombreux que divers : manuscrits, tapisseries, pièces d'orfèvreries, pierres précieuses. Le duc se fournit à Paris, parfois directement chez les marchands et passe des commandes auprès des plus grands artistes de l'époque. A partir de 1380, Jean de Berry endosse le rôle de mécène, découvreur de talents et pousse les artistes à créer de nouveaux types d'objets notamment des bijoux.La librairie ducale s'apparentait à celle de Charles V mais avec un moins grand souci intellectuel : il possédait surtout des traductions d'auteurs anciens et des manuscrits aux riches enluminures. Dans les années 1370, son goût est fort proche de celui de son frère aîné. A la mort de Charles V, son choix dans la bibliothèque du roi démontre son penchant vers de précieux livres liturgiques, en particulier ceux des frères Limbourg.Pol, Herman et Jean, peintres néerlandais du début du XVe siècle, sont morts tous les trois, semble-t-il, en 1416, la même année que leur commanditaire. Originaires de la Gueldre, neveux de Jean Malouel, ils travaillèrent en 1402 pour Philippe le Hardi et entrèrent peu après dans la maison de Jean de Berry, collaborant comme miniaturistes aux Belles Heures du duc, puis exécutant de 1413 à 1416 la plus grande partie des Très Riches Heures (musée Condé, Chantilly).
A la fin de la visite, il convient de faire un détour (monter au deuxième étage, aile Richelieu) pour rendre un hommage mérité à Jean Malouel, (l'oncle des peintres des Belles heures) dont le Louvre expose une œuvre récemment découverte, acquise et magnifiquement restaurée,(dont il était déjà question ici) après un parcours juridique très complexe. Avec beaucoup d’émotion, nous avons pu admirer les deux tableaux pratiquement symétriques (mais le panneau nouveau est beaucoup plus grand), placés côte à côte, du Christ en pitié, une merveille du style gothique international du début du XVème siècle.
Exposition au Louvre, aile Sully, salle de la Chapelle au 1er étage, jusqu’au 25 juin.