Magazine Cinéma
Pour une ville censée être la capitale mondiale de la cinéphilie, l’absence d’un grand festival renommé à Paris peut surprendre. C’est ce que semble avoir pensé la productrice/distributrice/exploitante Sophie Dulac qui a œuvré pendant plusieurs années pour mettre sur pied un nouveau festival de films à Paris, le Champs Élysées Film Festival. Alors bien sûr, j’entends déjà à juste titre les maîtres d’œuvre du Festival Paris Cinéma, dont la nouvelle édition s’ouvre par ailleurs dans quelques semaines à peine, élever la voix pour dire « Et nous, on compte pour du beurre ?! ». Que tout le monde se rassure, les parisiens sont suffisamment cinéphiles pour que deux festivals coexistent à quelques semaines d’intervalle, des festivals qui plus est judicieusement tournés vers le public.
Le Champs Élysées Film Festival (CEFF) ne joue de toute façon pas dans le même cercle que Paris Cinéma, le p’tit nouveau étant spécialisé dans le cinéma indépendant américain quand le festival déjà bien implanté se veut plus large et sans frontières. Le choix de Sophie Dulac de mettre en avant un cinéma indépendant américain inédit ne peut que réjouir ceux qui comme moi trouvent que « l’autre » cinéma US est trop souvent sous-représenté dans les salles obscures françaises. C’est pourquoi alors même que la reprise de la Quinzaine des Réalisateurs battait son plein au Forum des Images, je me suis penché sur la programmation du CEFF, histoire de trouver quelques pépites américaines dont les chances de sortie en France étaient minces. Et croyez-moi, il y a de quoi faire dans le programme.
J’ai attaqué bille en tête dès le premier jour du festival, qui comme son nom l’indique investit la plus célèbre avenue parisienne, du Gaumont Champs-Élysées tout en bas au Publicis au pied de l’Arc de Triomphe. Le premier film à m’avoir attiré s’intitule « Not waving but drowning ». Si le festival diffuse quelques avant-premières attendues comme « Blanche Neige et le Chasseur » ou « Friends with Kids », s’il passe des films indépendants avec des stars comme « Bernie » de Richard Linklater, « Not waving but drowning » fait partie des films les plus mystérieux projetés. Une toute jeune réalisatrice dont c’est le premier film, une distribution quasi inconnue, et un pédigrée vierge, le film n’ayant été présenté dans aucun grand festival auparavant. Une vraie rareté en somme, qui en la voyant lors de la première de ses diffusions au cours du festival, allait faire de moi l’une des toutes premières personnes au monde à découvrir officiellement le film (ça fait toujours plaisir).
Un jour de semaine en fin d’après-midi, pour un si petit film dans un festival n’ayant pas fait ses preuves, je me demandais si nous n’allions pas être qu’une petite poignée de curieux à se présenter au Lincoln. La réalisatrice devant être présente, je n’aurais pas aimé que l’on se retrouve à cinq devant la jeune femme, sous peine d’une atmosphère silencieuse. Le Festival semble avoir réussi sa promotion, car contre toute attente, la salle n’était pas vide. Bon, elle n’était certes pas pleine, mais entre trente et quarante spectateurs pour une telle projection, c’était finalement encourageant. Et c’est bien ce qu’il fallait car en guise de réalisatrice présente, c’était presque toute l’équipe du film qui était là. La réalisatrice, donc, Devyn Waitt, mais également la productrice, des co-producteurs, des acteurs, le compositeur, et d’autres encore restés anonymes. Tout le monde a fait le voyage à Paris. Et à les voir ainsi s’épancher sur leur tout petit film fait entre amis, avec des étudiants en cinéma et un cœur gros comme ça, l’envie d’aimer le film m’est venue soudainement.
Bien sûr, lorsque l’on va voir un film, on veut tous l’aimer. Mais il y a ceux dont on ne savait trop quoi attendre quelques instants plus tôt, comme celui-là, et qui en quelques minutes, en voyant une jeune réalisatrice partager son enthousiasme d’être en France, en voyant sa productrice s’enflammer pour son équipe, en voyant son expérimentée actrice (Lynn Cohen tout de même !! La Golda Meir du Munich de Spielberg !!) louer le film, tout à coup, leur enthousiasme se fait contagieux. J’ai envie de l’aimer ce film. Non, je vais l’aimer, c’est sûr !
Eh bien non. Lorsque la lumière s’éteint et que le film commence, l’enthousiasme communiqué quelques instants plus tôt ne compte plus et seule la vérité du film parle… et ce qu’elle m’a dit ne m’a pas convaincu. Du tout. Malheureusement, « Not waving but drowning » souffre d’un syndrome récurrent chez quelques cinéastes, celui de confondre long-métrage et clip. Ce sont des cinéastes qui adorent les belles photographies, qui aiment la musique planante, et pensent que l’on peut dire autant de choses en filmant de jolis décors avec un petit morceau de pop par-dessus qu’en écrivant une page de dialogues. Et la plupart du temps, il en résulte des films assez indigestes, poseurs, qui donnent la sensation de voir un bout à bout de clips plutôt qu’un long-métrage. C’est exactement le sentiment que laisse « Not waving but drowning ». Celui d’avoir assisté à la projection d’un clip musical de 90 minutes dans lequel deux amies d’enfance qui ont grandi dans un patelin américain rêvent de New York, mais seule l’une d’elle part vivre dans la ville qui ne dort jamais. Et l’on suit le destin parallèle des deux amies, celle qui découvre la vie new-yorkaise et celle qui trouve un job à la maison de retraite de leur patelin.
Et inlassablement, sans aucun recul ou aucune jugeote, au choix, la jeune réalisatrice coupe le son toutes les dix minutes, envoie une jolie petite chanson aérienne composée pour l’occasion, et filme l’une de ses actrices gambadant dans un champ, ou déambulant dans New-York, ou toute autre situation qui rendrait le film cool visuellement. Je pourrais appeler cela le syndrome Elizabethtown, car le film de Cameron Crowe était l’archétype même du film se souciant plus de l’ingérence de la musique dans ses séquences plutôt que de la qualité de son scénario, mais le film de Crowe n’était pas si poseur que cela.
Toute l’équipe du film était assise derrière moi, et je me sentais presque embarrassé d’assister au déroulement d’un film si mal conçu et exécuté avec tous les responsables dans mon dos. Lorsque le générique de fin est apparu, cette mini délivrance a été accueilli par de polis applaudissements, les plus chaleureux venant bien sûr de l’équipe du film elle-même. J’ai timidement applaudi, pour la forme… et je suis sorti de la salle en espérant que cette première projection au Champs Élysées Film Festival n’était qu’un faux pas… Deux jours plus tard, un bien meilleur film m’attendait… (à suivre)