Les étudiants, dans la rue, ne jouent pas. Ils montrent un "mal".
J’emprunte cette idée à Ray Bradbury : il oppose aux termes de science fiction et de fantastique le terme « fiction d’idées = des idées qui n’existent pas, ou pas encore ». En fait il n’y aurait pas de futur possible ou de demain peut-être, il n’y aurait que du réel évident qui tarde à être connu.
J’ai souvent cette impression, quand j’écoute les jeunes qui revendiquent, qu’ils ne savent pas de quoi ils parlent. Ils ne sont pas des sans idées, des sans avenir, des sans idéologies, des sans rien, ils ne sont pas non plus des anarchistes, ni des extrêmes gauchistes, ou des extrêmes droitistes ; ils sont plutôt dans le néant (mais une sorte de néant très positif, au sens ou il va faire éclore quelque chose), dans le demain qu’ils ignorent, mais dont ils ne doutent pas, dans un espoir qu’il savent non-vain, réel, mais dont ils ne peuvent définir les contours. Sont-ils aveugles, sourds, inconscients, trop conscients ? Certes, oui, ils sont tout cela, mais, à leur façon à eux, ils sont prescients, et à l’aise de l’être.
Il ne faut pas les questionner avec nos mots, j’allais écrire nos « maux ». Ce serait de toutes les façons la même chose : nos mots, nos maux, nos sentiments, nos idées, nos valeurs, nos structures, nos moyens et ressources (oui, tout cela, et tels que nous les concevons)... appartiennent à notre monde, pas au leur. Voilà ce qui me semble évident. Il ne s’agit pas simplement d’un conflit de générations, ni de valeurs ; c’est autre chose. C’est un peu « un mal impalpable », sorte de fossé qui se présente entre nous, je n’arrive pas à le définir, eux non plus d’ailleurs. Et nous ne nous rencontrons pas sur ce terrain qui n’est pas même défini. Et quand je lis les journaux, et découvre les thèses et analyses, aussi contrastées, que celles d’un Richard Desjardins, ou celles de Normand Baillargeon, ou celles d’une Denise Bombardier, ou celles d’un Fred Pellerin, ou encore celles de Guy Rocher, je vois bien qu’ils n’y arrivent pas, à me montrer cette jeunesse en ébullition, et ce mal impalpable que leur mouvement (grève depuis 4 mois, ce soir, 10 juin 2012) depuis quelque temps à fait apparaître.
Nous sommes peut-être dans ce monde de Bradbury, dans des « fictions d’idées ».