Je m’en voulais de n’être encore jamais allé à la biennale de Mulhouse, où beaucoup me disaient avoir fait de belles découvertes. A Mulhouse quelques heures pour d’autres raisons, j’en ai fait une visite (trop) rapide et ne suis pas déçu (c’est seulement du 9 au 12 juin, décalé par rapport à Art Basel, et j’écris donc de suite). Bien sûr, comme toujours, quelques installations un peu faciles, quelques toiles un peu redites, quelques vidéos que j’ai mal vues, trop pressé. Le jury décernera ses prix mardi. Les artistes sont présents sous l’égide de leur école d’art, dont ils sont en général déjà sortis depuis quelques années, et il y a cette année un fort contingent italien (14 sur 72 ; sept autres étrangers : allemands, suisses et roumain). Commençons par eux.
Diana Sblano
De la peinture d’abord, aussi étrange que cela puisse paraître à mes fidèles lecteurs. Des tableaux romantiques d’une île rêvée où le temps se serait arrêté, où l’attente serait éternelle, et qui, émergeant des brumes colorées, resterait pour toujours inaccessible, île
Francesca de Angelis, Sogno di sole
des morts ou île paradisiaque. Diana Sblano (Accademia Di Belle Arti de Bari) les a peints avec une émotion retenue, un protocole permettant de maintenir une maîtrise de contrôle de passions qu’on devine explosives.
Explosives sont les toiles de Francesca de Angelis (ADBA de Rome), explosions gestuelles de couleurs vives où parfois se devine en filigrane un motif plus réaliste, immeubles, ou paysage, ou corps peut-être ? L’énergie est tangible, passion lyrique en éruption, bouillonnement sensuel de couleurs projetées, lissées, étalées, grattées dans des profondeurs trompeuses.
Oriana Tabacco et Carmen Cardillo, Nel vuoto
Alors que les jeux de mots de Francesco Targusi (ADBA de L’Aquila) passent du comique absurde au tragique en évoquant le drame du tremblement de terre de sa ville, et que les photographies trouvées au visage découpé et les portraits où, au contraire, c’est l’ajout de peinture qui dissimule le regard, icônes mémorielles tragiques de Vincenzo Todaro (ADBA de Palerme), les grandes compositions photographiques du duo Oriana Tabacco & Carmen Cardillo (ADBA de Catagne) montrent un corps fécond, un ventre enceint, une promesse de futur photographié sous tous les angles, fragments de femme dans un noir et blanc vibrant et sensuel qui retient l’attention.
Chiara Cirio, Coltello
Des sculptures aussi : les statues morbides réalistes de Giacomo Rizzo (ADBA de Palerme), les feuilles de laiton vibrantes de Stefano Tondo (ADBA de Florence), le cube coloré de meubles démontables du duo CRISA (ADBA de Bari), mais surtout les vêtements de grand-mère tissés en fil de cuivre électrique de Susanna Alberti (ADBA de Bergame) déposés là comme des vestiges oubliés sur les meubles d’une maison abandonnée et qu’on aimerait voir activés, portés, performés.
Et cette sculpture de Chiara Cirio (ADBA de Carrare), couteau de marbre géant suspendu au dessus d’un miroir, tournant lentement sur lui-même, comme la marque d’un passé tranché, d’un avenir d’espoir, signe de danger aussi à mes yeux, de coupure, de chute et d’éclats. La beauté du marbre, la pureté des formes contrastent avec les blocs d’argile épars au sol.
Mais n’y avait-il donc que des Italiens à Mulhouse ? Certes non !
Mathilde Caylou, Là où j'ai attrapé l'air, détail
Maud Maffei, Stela Stella
Alors parlons de la respiration de Mathilde Caylou (HEAR Strasbourg-Mulhouse), air expiré qu’elle emprisonne dans des bulles de verre (qu’elle souffle elle-même mais en les bloquant contre un moule de champ) créant ainsi des formes mi pures mi boursouflées, mi lisses mi rugueuses, qui sont suspendues au dessus de nos têtes, comme une respiration du sol au ciel, un plafond de nuages lumineux, un Olympe dont nous ne verrions que les dessous. Parlons de la sculpture lumineuse de Maud Maffei (Villa Arson) où les mots se transforment, crépitent et retombent, le brûlé devient adoré, adore devient brûle, dans une pénombre moite, aqueuse où on perd tout repère, où on est tout retourné, Sicambre moins fier.
Marie Jeanselme ST
Cyndie Olivares
Les installations sur deux stands voisins de Marie Jeanselme (ESA Avignon) et de Cyndie Olivares (ESBA Nîmes) (déjà remarquée là) se répondent et s’opposent, la première faisant naître un objet-dessin (en fait une chaise longue) d’un chaos de tuyaux d’arrosage jaunes, l’autre assemblant des objets communs, coton-tige ou éponges Spontex, pour créer des sculptures sous tension, muraille ou tondo.
Nicolas Daubanes
Nicolas Daubanes (HEA Perpignan), remarqué il y a peu à la galerie Sit Down, réalise des dessins aimantés à la limaille de fer, fragiles et éphémères, représentant des vues de prisons parfois panoptiques.
Pierre Budet
Panoptique aussi cet œil de Pierre Budet, au dessus d’une forêt de cônes noirs dissuasifs, auprès d’une carte de France inversée qu’on peine à reconnaître, iconoclaste.
Rajoutons parmi les visites mulhousiennes Simon Starling à la Kunsthalle (le bâtiment, ancienne fonderie, a inspiré son travail) et Julien Nédelec, lauréat de la précédente Biennale, au Musée des Beaux-Arts dans un travail très rigoureux, géométrique et textuel.
Photos Sblano, Cirio, Caylou, Jeanselme, Olivares, Daubanes et Budet, de l'auteur.