Végétariens : et s’ils avaient raison ?
(Crédit photo : rafaël trapet - picturetank) Ne plus faire souffrir les animaux, refuser leurs conditions d’élevage, réduire son impact écologique sur la planète. Les raisons qui poussent un nombre croissant de Français à se détourner de la viande ne manquent pas. Et la minorité, souvent moquée, devient tendance. La bidoche cessera-t-elle bientôt d’être un horizon indépassable pour notre assiette ? Le Baromètre de cet article
Article publié dans le magazine
"Végétariens : et s’ils avaient raison ?"
La chute de l’ancien régime carnivore
(Crédit photo : quentin bertoux - vu / darqué - photocuisine) Ils discutaient le bout de gras paisiblement. Et puis, elle a annoncé qu’elle bannissait la viande et le poisson de son assiette. Il a sorti les crocs et les arguments. Elle a défendu mordicus sa décision et balayé les idées reçues. Dispute saignante en dix rounds.
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"Végétariens : et s’ils avaient raison ?" « Sans viande, bonjour les carences : protéines, fer, vitamine B12… »
« Pfff ! N’importe quoi ! Même l’Association américaine de diététique, réputée pour le sérieux de ses positions, affirme, dans son dernier rapport datant de 2009, que « les alimentations végétariennes (y compris végétaliennes) bien conçues sont bonnes pour la santé ». Or, pas besoin d’être maniaque pour équilibrer un menu végétarien. Il suffit de connaître et de jongler avec quelques notions de base. Les protéines animales ont un avantage : elles contiennent les huit acides aminés qui nous sont essentiels. Mais le tofu et le quinoa aussi. Et on peut obtenir tous ces acides aminés en combinant des céréales et des légumineuses : pois chiches et blé, haricots rouges et maïs, lentilles et riz… La viande est une source majeure de fer ? On en trouve aussi dans les céréales complètes, les légumineuses et tous les oléagineux. Et encore dans les abricots et les prunes, le persil, les brocolis, les haricots verts, les choux verts frisés…
A l’arrivée, « les études épidémiologiques montrent qu’il n’y a pas plus d’anémie par carence en fer chez les végétariens que chez les omnivores », dixit Jérôme Bernard-Pellet, médecin généraliste et fondateur de l’Association de professionnels de santé pour une alimentation responsable, dans Veggie, je sais cuisiner végétarien, signé par Clea (La Plage, 2011). Tu as raison, il n’y a pas de vitamine B12 dans les végétaux, mais on en trouve dans les œufs et le lait, ce qui suffira largement au bon fonctionnement de mon cerveau et à la formation de mon sang. Si je décide de me passer de ces aliments, alors oui, il faudra que je prenne un complément. Donc non seulement je n’aurai pas de carence, mais je serai peut-être en meilleure santé que toi. La plupart des végétariens mangent moins gras, ce qui permet de prévenir le diabète, les maladies cardiovasculaires. Ils avalent aussi plus de fruits et légumes, fibres, caroténoïdes et flavonoïdes qui protègent du cancer ! Allez, hop, argument suivant ! »
« Tu peux dire au revoir au sport avec tes muscles dégonflés »
« L’ancienne grande championne de tennis américaine Martina Navratilova et l’ex-patineuse artistique Surya Bonaly, ça te dit quelque chose ? Végétariennes toutes les deux. Il y a même, à Londres, un Indien sikh centenaire, végétarien et marathonien ! Tu veux connaître son truc ? Dahl, chapatis, légumes et yaourt midi et soir. Et comme il est soupçonné d’avoir eu recours au dopage avant les Jeux de Séoul, en 1988, je ne m’étends pas sur le végétalisme de l’Américain Carl Lewis, détenteur de 10 médailles olympiques, comme sprinter et sauteur en longueur. Enfin, si ton critère, ce sont les biscoteaux, demande aux 5 000 sympathiques membres de l’association américaine Vegan Bodybuilding and Fitness s’ils sont épais comme des sandwichs SNCF. Etre végétarien quand on est sportif, non seulement ça n’est pas pénalisant, mais il peut même y avoir des avantages. Un exemple : « L’absence de cholestérol et la moins grande quantité de graisses saturées présentes dans les végétaux permet d’alléger le travail du corps », dixit une interne en médecine, Ludivine Buhler, dans le dernier numéro d’Alternatives végétariennes, le magazine de l’Association végétarienne de France. »
« Les animaux mangent de la viande, eux ! »
« Pas faux. Allez, je vais même ajouter de l’eau à ton moulin en citant le philosophe Dominique Lestel, dans Apologie du carnivore (Fayard, 2011) : “ Le carnivore est parfois plus proche des animaux qu’aucun végétarien ne pourra jamais l’être parce qu’il assume entièrement, c’est-à-dire métaboliquement, sa nature animale au lieu de s’en dégoûter. ” Tu pourrais aussi me dire que c’est en chassant des animaux qu’homo sapiens a pu se développer et devenir un être évolué. Oui, sauf que se convertir au végétarisme, ce n’est pas revenir au niveau des australopithèques. Pourquoi ? Parce que, justement, je suis devenue une homo sapiens hyper-évoluée ! Capable de choisir son mode de vie en fonction de ses convictions et des réalités écologiques. Et contrairement à nos ancêtres préhistoriques, je dispose au magasin bio d’une belle collection de galettes prêtes à l’emploi – lentilles et champignons, sarrasin et fromage… – et j’ai toutes les connaissances pour équilibrer mon alimentation, sans avoir à chasser le mammouth. »
« Les poissons ne sortent pas des abattoirs »
« D’accord, ils vivent en liberté. Mais tu veux qu’on parle du problème de la surpêche, de la diversité marine en danger ? Ce pourrait être une raison pour limiter ma consommation de poisson. Mais non, j’ai décidé de faire carrément une croix dessus quand j’ai pris conscience de leur souffrance. Les poissons ne poussent pas de cris déchirants, du coup, l’idée qu’ils puissent éprouver de la douleur ne nous traverse même pas l’esprit. Pourtant, écoute ça. C’est tiré de Faut-il manger les animaux ?, de Jonathan Safran Foer. Il donne l’exemple du thon : “ Un poisson pris à l’hameçon peut se vider de son sang ou se noyer (les poissons se noient quand ils ne peuvent plus bouger), avant d’être hissé à bord du bateau. Bien souvent, les gros poissons (ce qui inclut non seulement les thons mais aussi les espadons et les marlins) ne sont que blessés par l’hameçon, et, bien qu’affaiblis, peuvent résister à la traction de la ligne durant des heures, voire des jours. ” L’auteur américain souligne par ailleurs que l’aquaculture – elle représente la moitié de notre consommation actuelle de poisson – est comparable à l’élevage industriel des animaux terrestres. Il énumère les tourments endurés par les saumons d’élevage. Entre autres : “ une eau si sale qu’il devient impossible d’y respirer ”, “ un peuplement si dense que les animaux commencent à s’entre-dévorer ”. Les méthodes d’abattage ? “ On les tue en leur ouvrant les ouïes avant de les jeter dans une cuve d’eau où ils se vident de leur sang. ” Tu veux vraiment m’obliger à ouvrir une boîte de thon au naturel ou à déguster du saumon à Noël ? »
« La blanquette n’est pas de la viande, c’est de la gastronomie »
« Mon pauvre, tu vis dans le passé. La viande n’est plus le centre de la gastronomie française. Auparavant, dans les bons restaurants, les légumes n’étaient là que pour la déco. Aujourd’hui, les chefs les plus créatifs cultivent leur jardin potager en bio et ramassent des plantes sauvages. Tu ne vas pas me dire que tu ne connais pas Alain Passard (lire Terra eco n °17, septembre 2010). Il est devenu une star en faisant, depuis 2001, de la “ cuisine légumière ”, comme il l’appelle lui-même dans son restaurant l’Arpège, à Paris. Tout le monde se pâme devant ses tomates confites aux douze saveurs ou sa poêlée d’épinards, huile de sésame, mousseline de carotte à l’orange, citron confit. Et puis, mon vieux, il faut arrêter de penser qu’un menu végétarien se compose forcément de légumes sauce à l’eau avec des céréales à rien. Tu ferais mieux de jeter un œil sur Internet. Les blogueuses culinaires végétariennes sont parmi les plus créatives de la Toile. Clea – Cleacuisine.fr – fait un carton avec ses rouleaux de printemps aux légumes rôtis ou sa tartinade de petits pois aux pignons et citron vert. Et impossible de ne pas devenir fan de la Danoise Sarah Britton et de son site : Mynewroots.blogspot.fr, qui existe aussi en version française : Mynewrootsfrancais.blogspot.fr Ses carottes rôties au gingembre et vinaigrette veloutée au miso, sa salade d’haricots verts à l’estragon et aux noisettes, moi j’en veux bien tous les jours. »
« Mais tu portes du cuir et tu manges des œufs »
« Oui, et je mange du fromage et je bois du lait… Je connais les arguments des végétaliens, qui ne consomment aucun produit animal, pas même du miel. La styliste Stella McCartney en fait partie. Elle vient justement de lancer une campagne anticuir. Dans une vidéo pleine d’images horribles, elle explique qu’acheter du cuir, c’est participer à l’intensification de l’industrie de la viande. Je sais aussi que pour qu’une vache produise du lait, on lui retire dès la naissance son veau, qui est abattu aussitôt. Ecoute, mon idée n’est pas d’adopter une attitude puriste. Je ne veux pas me repentir chaque fois que j’écrase une fourmi, mais essayer de limiter l’impact de ma consommation : les œufs et les produits laitiers, je les achète bios et voilà. »
« Sans élevage, il n’y a pas d’agriculture de qualité »
« Toi, tu as lu l’agronome Marc Dufumier ! Grand défenseur du bio, il regrette que le système actuel sépare agriculture et élevage. Il milite pour l’introduction de porcs en Beauce et de céréales en Bretagne ! Car c’est avec le lisier des animaux qu’on fait le compost qui nourrit la terre. Sans les bêtes, les engrais de synthèse polluants gagneraient donc la partie. D’accord, d’accord ! Certains végétariens voudraient que leur pratique s’étende au point que toute trace d’élevage disparaisse de la surface de la terre. Je n’en suis pas là. Moi, je manifeste contre les élevages industriels et la surconsommation, pas contre les idées qui font du bien à la planète. »
« Manger de la viande bio, ça pourrait suffire à te donner bonne conscience, non ? »
« C’est vrai, je pourrais me contenter de manger des animaux élevés dans des conditions correctes. Mais au moment de l’abattage, vois-tu, ils sont tous égaux. Le règlement bio européen impose de limiter la souffrance des animaux quand on les tue, mais sans préciser la méthode. Résultat : c’est la réglementation générale qui s’applique. Et, pour moi, ce qui se passe dans les abattoirs est tout sauf satisfaisant. Laisse-moi te parler des Indiens Algonquins du Canada et te citer de nouveau Apologie du carnivore, du philosophe Dominique Lestel. Voilà ce qu’il raconte : pour cette tribu, “ tuer un animal pour se nourrir est acceptable, à condition toutefois que la mise à mort entraîne pour lui le minimum de souffrance possible. Les Algonquins ajoutent qu’il est nécessaire de s’engager dans un processus de réciprocité et de dette vis-à-vis de l’animal, ainsi que de maximiser les produits du corps. Ce dernier point est fondamental : l’animal mangé ne peut l’être justement que si tout ce qui est comestible en lui est effectivement consommé, et tout ce qui est utilisable utilisé. Ce qui importe n’est donc pas de tuer un animal, mais de le faire sans souffrance inutile et de ne rien gâcher de celui qu’on a tué. ” Eh bien moi, je remangerai de la viande le jour où on aura le même sens de la responsabilité que les Algonquins. Pas demain la veille ! Il serait pourtant grand temps de réintroduire des rituels. Non, pas de panique, je n’ai pas été recrutée par une secte ! Ecoute encore Dominique Lestel : “ Entre la consommation banalisée de la viande anonyme et la diète totalement végétarienne, il existe une voie que ni les végétariens ni les carnivores n’ont encore explorée de manière sérieuse dans les pays occidentaux contemporains : manger de la viande de façon limitée, voire rituelle. Autrement dit, faire de chaque repas carné une cérémonie, voire une commémoration, et limiter notre consommation de viande à ces occasions, tout en n’acceptant dans ces circonstances que de la viande provenant d’un animal bien traité. ”
Dans ces conditions, ma conscience serait sans doute tranquille. Reste que, bio ou tradi, ritualisée ou non, la viande est toujours une catastrophe environnementale sur pattes, responsable de près d’un cinquième des émissions mondiales de gaz à effet de serre. L’élevage monopolise aussi 70 % des terres agricoles, si on compte les pâturages et les céréales cultivées pour nourrir les bêtes. Et puis, n’oublie pas que les Chinois consomment de plus en plus de viande : ils sont passés premiers producteurs de la planète devant les Etats-Unis. Alors pour nourrir 9 milliards d’humains en 2050, pas le choix : il faudra baisser notre consommation. Point barre. »
« Si tu tombes enceinte, Bébé sera mou comme un fruit mûr »
« Alors là, pas de panique, mon chéri : on fera un beau bébé avec tout ce qu’il faut. Quand l’Association américaine de diététique donne son feu vert au végétarisme, cela vaut aussi pendant “ la grossesse, la lactation, le premier âge, l’enfance et l’adolescence ”. Nos petits feront d’aussi jolis bourrelets que les autres : le Dr Jérôme Bernard-Pellet affirme que “ le poids et la taille des enfants à la naissance sont comparables à ceux de leurs homologues omnivores ”. Il suffit que j’insiste, comme toutes les femmes enceintes, sur certains nutriments. J’avalerai plein de protéines végétales ; je mettrai des graines de lin, des noix, de l’huile de colza à toutes les sauces pour les oméga-3. Pour le fer, je me goinfrerai de fruits secs et d’algues. Et pour le calcium, ce sera brocolis et amandes à gogo. D’ailleurs, je vais commencer tout de suite. Et si jamais je passe au régime végétalien, ne t’inquiète pas, je prendrai un supplément de vitamine B12. Végétarien, carnivore ou omnivore, peu importe : on en fait un quand ? »
« Tu vas avoir une libido de panda chinois »
« D’abord, c’est pas très sympa ! Ensuite, je sais d’où tu sors ton expression : du bouquin La Viande voit rouge (Fayard, 2012). Les auteurs, René Laporte et Pascal Mainsant, y racontent que ces bisounours noir et blanc étaient omnivores et qu’ils sont devenus végétariens. Et que ce serait la cause de leur proche extinction, 10 % d’entre eux seulement arrivant à procréer. Je ne sais pas si je dois rire ou pleurer. J’espère que les proviande ont mieux en magasin, comme argument. Et toi, comme eux, tu t’imagines que je vais passer mes journées à manger des feuilles de bambou ! Rassure-toi, ce n’est pas dans mes projets. Il y aura tellement d’énergie dans mes menus végétariens que tes soirées devraient être bien remplies. »
Quatre amoureux des légumes témoignent
(Crédit photo : matthias ritzmann - corbis) Végétariens – ou même végétalien – pour protéger la planète, être en bonne santé ou encore dénoncer les conditions d'élevage des animaux. Quatre adeptes de ce régime alimentaire nous racontent. Le Baromètre de cet article
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"Végétariens : et s’ils avaient raison ?" « Une démarche plus pragmatique qu’idéologique »
Ngub, 41 ans, pédégé d’une entreprise de « cosmétiques verts » à Paris, tient à contrôler toute son alimentation.
« Ma démarche est plus pragmatique qu’idéologique : je veux pouvoir vérifier la qualité de tout ce que je mange. Le bien-être des animaux vient dans un second temps même si, évidemment, quand on traite mal les animaux, c’est aussi l’homme que l’on maltraite ! Je me suis mis à manger bio quand j’avais 18 ans, et puis, pendant quatorze ans, j’ai tout arrêté. Il y a cinq ans, en reprenant une activité sportive plus intense, j’ai commencé à manger de moins en moins de viande, sur des périodes de plus en plus longues. Un choix dicté par des sensations physiques. Je mange également sans gluten et j’essaie d’éviter tous les additifs alimentaires. La vie sociale ? C’est vrai que c’est compliqué, mais aujourd’hui on rit moins au nez des végétariens. L’offre dans les commerces est plus importante, et le végétarisme est considéré comme un régime particulier, au même titre que le halal, par exemple. Les compagnies aériennes l’ont d’ailleurs compris depuis longtemps en proposant plusieurs choix de repas : c’est très appréciable quand on voyage souvent. Malheureusement, il m’arrive encore parfois de déroger à la règle et de manger de la viande en dehors de chez moi. Mais je n’en fais pas un drame : mieux vaut manger une bonne viande que des légumes empoisonnés ! » Recueilli par H.P
« Si on considère l’animal comme un individu, je remangerai de la viande »
Elise, 33 ans, monitrice d’équitation à Poitiers (Vienne). Végétarienne depuis vingt ans.
« Je suis végétarienne depuis l’adolescence, depuis que j’ai découvert d’où venaient les animaux que j’avais dans mon assiette. A l’époque, mes parents n’ont pas compris et mon médecin a même essayé de me faire changer d’avis, en me disant que j’aurai des carences, ce qui est une contre-vérité, on le sait davantage aujourd’hui. C’est un végétarisme de combat, dans le sens où je ne veux pas cautionner les conditions d’élevage et d’abattage des animaux. Mais si, un jour, on se met à considérer l’animal comme un individu, et non comme un sous-produit de la société, et qu’on repense complètement la façon de produire, alors oui, pourquoi pas, je remangerai de la viande. Il m’arrive d’ailleurs d’en acheter pour en cuisiner à mon entourage. Mais dans ce cas, je sais d’où elle vient. Ce n’est pas du mauvais cochon sous vide ! C’est dans ces moments-là que j’entends les réflexions classiques du type : “ Tu ne sais pas ce que tu rates ”… » Recueilli par C.B
« Le plus dur a été la réaction violente des gens »
Sylvain, 30 ans, étudiant en architecture du paysage à Bordeaux (Gironde). Végétarien « à mi-temps » depuis un an.
« Il y a un an, j’ai fait la connaissance de plusieurs végétariens. Investi depuis longtemps dans la défense de l’environnement – et ayant depuis un moment envie de tenter l’expérience –, j’ai décidé de me lancer, sur leurs conseils. Je n’ai pas ressenti de manque particulier, j’ai au contraire découvert de nouvelles saveurs et me suis senti en meilleure forme. En fait, moins tu manges de viande, moins tu as envie d’en manger. Le plus dur a été la réaction des gens, parfois violente : ils ne comprennent pas et se sentent obligés de dire : “ Moi, je ne pourrais pas arrêter ”. Dans la vie de tous les jours, c’est compliqué, tu dois toujours te justifier alors que tu ne cherches à convertir personne. Avec le rythme des études, ce n’est pas toujours facile non plus de trouver le temps pour cuisiner les bons produits. Le végétarisme n’est pas du tout entré dans notre culture. J’ai donc adapté mon régime en trouvant un juste équilibre : je n’achète jamais de viande ou de poisson, mais au restaurant ou quand je suis invité, j’en mange pour ne pas déranger et m’imposer. Je vois d’ailleurs dans mes études que l’élevage, s’il est bien pratiqué, reste important pour l’environnement. Cela dit, c’est un choix réfléchi sur le long terme : quand j’aurai fini mon cursus, je pense poursuivre cette évolution vers un régime végétarien “ à temps plein ”. » Recueilli par C.B
« En lisant “ Faut-il manger les animaux ? ”, j’ai eu un déclic »
Marina, 22 ans, étudiante en communication numérique, à Paris. Végétalienne depuis trois mois.
« Il y a un peu plus d’un an, j’ai lu Faut-il manger les animaux ?, de Jonathan Safran Foer (L’Olivier, 2011). Au fur et à mesure des pages, je me suis renseignée sur la viande, les conditions d’exploitation, etc. En le refermant, le déclic : je suis devenue végétarienne, pour lutter contre l’exploitation animale. Puis, il y a trois mois, je me suis convertie au végétalisme. En comprenant la puissance du lobby laitier, j’ai décidé de boycotter ce produit. Même si j’ai l’impression que nous sommes de plus en plus nombreux, en France, on est encore plutôt mal vus, comme des asociaux, ou une secte. Les gens essaient de me “ piéger ” : dès que j’ai un petit rhume, on me dit : “ Tu vois, tu as des carences. ” Evidemment, je fais attention à ne pas avoir de problèmes de santé, mais il suffit de revoir toutes ses habitudes alimentaires. Je pense aussi que cela dépend d’où l’on vit. A Paris, il y a davantage de restos végétaliens et de boutiques, mais quand je reviens à Nantes, ma ville d’origine, j’ai beaucoup plus de mal à manger sur le pouce. » Recueilli par C.B
« Les animaux ne sont pas de la viande sur pied »
(Crédit photo : bruno klein) Interview - L’alimentation carnée pérennise la violence des humains, estime la philosophe Florence Burgat. Le Baromètre de cet article
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"Végétariens : et s’ils avaient raison ?" Florence Burgat est philosophe à l’Institut scientifique de recherche agronomique (Inra). Elle consacre toutes ses recherches à la question animale. Elle a notamment publié Une autre existence (Albin Michel, 2012).
Notre conception des animaux est-elle en train de changer ?
Nous sommes à un moment charnière. L’exploitation des animaux n’a jamais été aussi massive alors que la législation introduit des notions telles que « la sensibilité », « le bien-être », ou encore évoque « la souffrance » et « l’angoisse » des animaux. Cela pose, à l’arrière-plan, la question de la légitimité de ce système. L’animal n’est donc plus considéré comme un être qui ne sent rien. Mais, dans le même temps, les utilisations auxquelles il est soumis font comme s’il ne sentait rien. C’est dans ce paradoxe que l’on peut voir l’indice d’un moment charnière.
Le végétarisme est-il un moyen d’être en accord avec cette nouvelle conception ?
On peut être végétarien pour diverses raisons : diététiques, écologiques, etc. On peut aussi l’être en réponse à la violence faite sur les animaux. Si nous voulons modifier durablement notre relation à eux, il faut cesser de les regarder comme de la viande sur pied. Or, nous savons depuis longtemps où trouver les protéines végétales. Et la diversité des nourritures dont dispose l’humanité permet, comme jamais auparavant, de composer des régimes équilibrés. Par ailleurs, les recherches sur la viande in vitro (la production de muscles à partir de cellules souches, ndlr) pourraient être encouragées. Je pense enfin qu’une humanité qui aurait renoncé à manger des animaux se comporterait de façon différente, y compris en son propre sein. Il y a dans l’alimentation carnée une pérennisation de la violence en général.
Peut-il cependant exister une façon éthique de manger de la viande ?
C’est une contradiction dans les termes. Je ne doute pas qu’il existe des éleveurs qui traitent bien leurs animaux. Mais ça ne peut être que ponctuel étant donné que nous sommes 7 milliards et de plus en plus à vouloir manger de la viande deux fois par jour. Le seul système capable de répondre à cette demande est le système industriel.
Si l’on va au bout de ce raisonnement, il faut supprimer l’élevage. Beaucoup objectent que les animaux sont indispensables, notamment pour l’agriculture…
Certes, c’est complexe, c’est encore une utopie. Mais nous n’avons jamais cherché à faire autrement. Il peut exister d’autres voies, et c’est aux spécialistes concernés d’y travailler. —
En savoir plus : la bibliographie végétarienne
Paris végétarien, les meilleurs restos, d’Alcyone Wemaëre (Parigramme, 2012)
Confessions d’une mangeuse de viande, de Marcela Iacub (Fayard, 2011)
Manger la chair, traité sur les animaux, de Plutarque (Rivages, 2002)
Bidoche, de Fabrice Nicolino (Les liens qui libèrent, 2009)
Le Livre noir de l’agriculture, d’Isabelle Saporta (Fayard, 2011)
Une autre existence, de Florence Burgat (Albin Michel, 2012)
L’Association végétarienne de France
Le blog culinaire de Clea
L’Institut français pour la nutrition