Par Hong Kong Fou-Fou
Chers lecteurs, depuis le temps qu'on (ne) se connaît (pas), il est temps pour moi de faire mon coming out et de vous faire un aveu qui me pèse sur la conscience : pendant de nombreuses années, j'ai été skinhead. Oui, vous avez bien lu. J'en entends qui s'exclament : "Nooon, pas lui !" "Un si gentil garçon !" "Il m'a aidé à traverser la rue, une fois !" "Il ne fait pas de fautes d'orthographe, pourtant !" Et pourtant (ah, il fait des répétitions, par contre), c'est la stricte vérité. Et je ne regrette rien. Alors maintenant, vous pouvez résilier votre abonnement à Fury Magazine (m'en fiche, c'est gratuit) ; vous pouvez brûler les anciens numéros (m'en fiche, c'est du virtuel) ; vous pouvez boycotter mes articles et ne lire que ceux de Goudurix (m'en fiche, c'est vous que vous punissez) ; vous pouvez venir me casser la figure (m'en fiche, c'est... Heu, on peut d'abord discuter ?).
Mais bien sûr, qu'on peut discuter, entre gens de bonne volonté. D'autant plus que les skinheads ne sont pas forcément
aussi bêtes et méchants qu'on veut bien le croire.
Le mouvement skinhead est issu du mouvement mod à la fin des années 60, les premiers skins écoutaient du reggae. Elégance vestimentaire, musique noire... Comment a-t-on pu basculer et arriver à l'exact opposé, à savoir des types mal habillés pogotant et tendant le bras sur la musique de groupes que même un sourdingue aurait du mal à supporter ? La faute à qui ? A personne, en fait. Le film "This is England" de Shane Meadows montre parfaitement ce glissement progressif et involontaire vers une radicalisation de ces jeunes Anglais chômeurs et fauchés. Ensuite, les médias ont fait le reste en se chargeant de faire leur mauvaise publicité. Les journalistes se sont jetés sur le sujet comme un rottweiler élevé par un faf sur la jambe d'un Pakistanais. Les universitaires ont publié leurs souverains poncifs. Les sociologues y ont été de leurs explications vaseuses. Pour comprendre ce genre de culture, il faut la vivre de l'intérieur, pas l'observer depuis une salle de rédaction ou d'archives. Ensuite on a eu des skins rouges, mais nazis ou reds, c'est blanc bonehead et bonehead blanc. Et puis des skins homosexuels à moustache, des skins contre la vivisection, des gabberskins, tout un tas de sous-groupes à des années-lumière du mouvement original.
De temps en temps, un livre vient remettre les pendules à l'heure. Comme, en son temps, "Skinhead" de Nick Knight. Et, aujourd'hui, "Skinheads" de John King. King, Knight, on se croirait au Moyen-Age. Et ce n'est pas si débile, car les skins ont toujours été associés à un certain code de l'honneur, un certain esprit chevaleresque un peu désuet. Bon, attention hein, je n'essaie pas de faire passer les skins pour des petits saints, ça reste quand même des gens plutôt turbulents. Mais ni mieux, ni pires que les autres. Essayer de démontrer ça, c'est la qualité première du bouquin de John King. L'auteur n'a pas son pareil pour décrire l'Angleterre de la rue, il l'a déjà prouvé avec, entre autres, "Football Factory" et "Human Punk". Les héros de son dernier livre travaillent pour entretenir leur famille, se détendent en buvant une pinte de London Pride et en écoutant du ska ou du reggae, ils se défoulent en allant au stade défendre les couleurs de Chelsea. Leurs cheveux sont coupés courts, leur chemise impeccablement repassée et leurs Doc Martens bien cirées. Ils ont la classe, mais la classe ouvrière. En Angleterre, Nick Hornby est l'écrivain des bobos, John King celui des prolos.
D'accord, ce n'est pas de la grande littérature, je ne suis même pas sûr que ça soit de la littérature tout court, c'est loin d'être le meilleur King, mais ça change d'une thèse de doctorat sur le même sujet pondue par un pontifiant rat de bibliothèque universitaire.
Skinheads, par John King
Editions Au Diable Vauvert, 410 pages