Albert Camus n’était pas celui que je croyais.
Il n’était pas existentialiste ! Pour lui l’existentialiste était allemand, alors qu’il aimait les philosophes grecs.
Il n’était pas non plus philosophe, il se voulait artiste. Et l’absurde n’a pas été important pour lui. En fait, c’est peut-être plus sa vie que son œuvre qui est digne d’intérêt. Homme de convictions et de doutes, il a « osé penser », selon la devise de Kant.
Il s’est « révolté », il s’est dressé contre les dogmatismes. Il a cherché une « troisième voie » entre les pensées totalitaires de gauche et de droite. Ce qui lui a valu la haine de l’intelligentsia parisienne et de la presse, qui un moment l’avait cru l’un des siens. (La droite a cherché à le récupérer, jusque dans la tombe : M.Sarkozy a voulu le transférer au Panthéon !)
Il s’est ainsi permis de critiquer l’Union soviétique, encensée par Sartre, ainsi que le terrorisme et ses victimes innocentes en Algérie, où il désirait qu'il y ait accord entre ses « peuples » européen et musulman (à l’image de ce qui s’est fait par la suite en Afrique du sud).
Il a aussi été le premier à s’inquiéter de la bombe atomique (immédiatement après Hiroshima), et n’a jamais oublié les Républicains espagnols victimes de Franco.
Algérien, venu du peuple le plus pauvre (père mort à la guerre de quatorze, mère servante et quasi handicapée mentale), souffrant toute sa vie de tuberculose, remarqué par un instituteur qui lui a permis de poursuivre ses études, résistant... il est resté fidèle à ses origines. Il a préféré « sa mère à la justice » : les hommes, les petits, à des concepts abstraits, qui n’ont peut-être que pour seul usage de les asservir.
TODD, Olivier, Camus, une vie, Folio, 1996.