Impôts : ce que la gauche mijote
François Hollande et Jean-Marc Ayrault veulent faire de leur réforme fiscale le symbole du quinquennat.
Martine Aubry a prévenu : les hausses d'impôts que prépare le gouvernement seront «énormes». Épargne, patrimoines et hauts revenus devraient donc fournir l'essentiel de l'effort d'assainissement des finances publiques. Voici le détail de la facture.
Un vrai coup de massue. Si la gauche gagne les législatives, elle déclinera le programme fiscal défendu par François Hollande pendant la campagne présidentielle. Un programme qui prévoit pas moins de 11,8 milliards d'euros de hausses d'impôts pour les ménages! Pour redresser les comptes publics, le PS préfère utiliser d'abord l'arme fiscale. Les économies dans les dépenses ne sont pas absentes de sa feuille de route, mais elles sont modestes et peu précises. En cela, François Hollande ne se démarque pas de la politique traditionnelle de la gauche française. Le théorème est le suivant: les coupes dans les dépenses sont censées pénaliser davantage les Français les plus fragiles, tandis que les hausses de prélèvements, telles que calibrée s par le PS, pèseraient sur les plus aisés.
François Hollande fait passer la pilule des taxes supplémentaires en parlant de «réforme fiscale», au service de la justice. Pourtant, ailleurs en Europe, des dirigeants de gauche n'ont pas hésité à faire l'inverse, en taillant dans les charges publiques et en réformant le système social. Le chancelier Gerhard Schröder, qui a redressé la compétitivité de l'Allemagne, était social-démocrate. En France même,Didier Migaud, ancien élu PS et premier président de la Cour des comptes, prône une action vigoureuse sur les dépenses. L'Inspection générale des finances - l'élite des hauts fonctionnaires de Bercy - vient de publier un rapport sans appel: 3,9 milliards d'euros de coupes dans les dépenses sont nécessaires chaque année pour atteindre l'équilibre des comptes promis à la Commission de Bruxelles, qui a fait de l'assainissement des finances publiques des États membres son cheval de bataille.
Crédits photo : vtreboutte
L'audit demandé par François Hollande à la Cour des comptes, et qui sera rendu fin juin, servira peut-être de prétexte au gouvernement pour une inflexion l'amenant à un ralentissement plus marqué des dépenses. Mais que les contribuables n'aient pas de fausses espérances: ils n'échapperont pas au train fiscal. Martine Aubry s'est chargée de le leur rappeler cette semaine: «Il y a d'autres moyens que de réduire les dépenses, a déclaré la patronne du PS. Il existe d'énormes marges de manoeuvre en faisant rentrer des impôts complémentaires»... «Énormes», donc. Les contribuables vont être rapidement fixés.
Le Parlement devrait voter en juillet un projet de loi de finances rectificative reprenant les mesures les plus emblématiques du programme Hollande (tranche à 75 %, ISF...). Les hausses d'impôts restantes seront inscrites dans le projet de loi de finances pour 2013, qui sera examiné à l'automne.Mesure phare de la campagne, la taxation à 75 % des revenus dépassant 1 million d'euros, est économiquement dangereuse. Le risque d'une accélération des exils fiscaux est réel (voir page 34). Un scénario d'autant plus affligeant que cette mesure est purement politicienne. La taxe à 75 % ne figurait pas dans le programme originel de François Hollande, qui se contentait de prévoir une tranche supplémentaire d'impôt sur le revenu (IR) à 45 % pour les revenus annuels supérieurs à 150.000 euros par part. À ce niveau de taxation, la France restait dans la moyenne européenne. Cette nouvelle tranche verra d'ailleurs bien le jour. Las, à un moment crucial de sa campagne en février, François Hollande a voulu donner un coup de barre à gauche... Et le nouveau gouvernement se retrouve maintenant à devoir mettre en musique cette taxe à 75 % aux effets potentiellement dévastateurs. En effet, si rien n'était fait, cette imposition excessive pourrait toucher non seulement les dirigeants de grandes entreprises mais aussi les patrons de PME. La combinaison de la taxe à 75 % et de l'alignement de la fiscalité du capital sur celle du travail, autre promesse PS, fait que, en théorie, un chef d'entreprise verrait le fruit de la vente de sa société, s'il dépasse 1 million, taxé à 75 %. Conscient qu'un tel prélèvement est inacceptable, l'entourage de François Hollande a toujours déclaré qu'il mettrait en place des systèmes de lissage pour éviter un tel choc. Il en serait de même pour les sportifs et les artistes. Bref, il est fort possible que la taxe à 75 % soit peu à peu vidée de sa substance.
Côté symbole, le PS ne peut pas passer à côté d'une hausse de l'ISF
En outre, l'équipe Hollande a laissé entendre lors de la campagne qu'il rétablirait le plafonnement Rocard. Ce plafonnement est tout simplement l'ancêtre, moins avantageux, du bouclier fiscal. Un bouclier fiscal qui a été supprimé par l'ancienne majorité de droite, qui le voyait comme un boulet électoral... Ce plafonnement Rocard stipule que la somme de l'impôt sur le revenu, de l'ISF et de la CSG-CRDS ne peut pas dépasser 85 % des revenus d'un ménage. En le remettant en service, le PS espère avoir trouvé la parade au risque que la taxe à 75 % soit jugée contraire à la Constitution, car confiscatoire.Rien ne dit toutefois que cela suffira. Car l'écart entre le dernier taux d'imposition du revenu - 75 % - et l'avant-dernier - 45 % -, restera considérable. «En fonction des modalités qui seront retenues, cela peut soulever des questions au regard de principes constitutionnels tels la progressivité de l'impôt ou son caractère non confiscatoire», estime Nicolas Jacquot, avocat chez Arsene Taxand. Du coup, d'autres spécialistes de ces questions vont jusqu'à imaginer un scénario plus cynique. «Je pense que certains socialistes, qui savent les dangers économiques de la taxe à 75 %, parient que le Conseil constitutionnel l'annulera. Elle aura servi de mesures de campagne, sans voir le jour», confie l'un deux.Côté symbole, le PS ne pouvait pas non plus passer à côté de l'ISF.
Martine Aubry veul lutter contre ceux «qui ont tant de privilèges aux dépens des autres». Crédits photo : Denis ALLARD/REA/Denis ALLARD/REA
En 2011, la gauche a bataillé ferme contre l'allégement de l'impôt sur la fortune mené par Nicolas Sarkozy. Lors de sa campagne, François Hollande a promis de revenir sur cette réforme honnie. Le projet de loi de juillet devrait donc prévoir que les taux d'imposition s'échelonneront à nouveau de 0,55 à 1,8 %, en lieu et place des deux taux actuels de 0,25 et 0,5 % (lire page 39). En gros, l'ISF serait multiplié par deux. Seule consolation: les ménages qui étaient tombés à l'ISF dans les années 2000 du fait de l'envolée de l'immobilier et en étaient sortis grâce à la réforme Sarkozy n'y retomberont pas. Le seuil d'entrée restera fixé à 1,3 million d'euros de patrimoine. La détermination du gouvernement est telle qu'il veut absolument relever l'ISF dès 2012. Et ce, même si cela pose des problèmes juridiques et techniques qu'il faudra probablement résoudre par une taxe ou une majoration exceptionnelle.
Vers une réduction du plafond du quotient familial
Malheureusement pour les contribuables, la note fiscale de la nouvelle majorité ne se limitera pas à la taxation à 75 % et à l'ISF. Du coup, les ménages de la classe moyenne supérieure seront eux aussi pénalisés. Notamment via la chasse aux niches fiscales. Sur ce point, l'actuel gouvernement veut frapper plus fort que son prédécesseur, initiateur de la lutte. Ainsi, conformément au programme de campagne, les niches fiscales dans leur ensemble devraient être plafonnées à 10.000 euros par an, contre 18.000 euros majorés de 4 % du revenu actuellement. Cette toise est en fait assez basse et risque de rogner certaines niches, comme celle sur l'emploi à domicile. Une niche qui sera en outre rabotée. Le crédit d'impôt devrait passer de 50 à 45 % des rémunérations versées. Les familles avec enfants apprécieront... Pour les plus aisées d'entre elles, ce sera même la double peine. En effet, François Hollande a promis pendant la campagne d'abaisser de 2336 à 2000 euros le plafond du quotient familial (plafond par demi-part). Une mesure destinée à financer la hausse de l'allocation de rentrée scolaire, qui vient d'être actée.
Pierre Moscovici et Jérôme Cahuzac préparent la réforme fiscale promise par François Hollande. Crédits photo : Pascal SITTLER/REA/Pascal SITTLER/REA
D'après l'Institut de l'entreprise, un think tank indépendant qui a évalué les promesses des candidats à la présidentielle, la perte moyenne pour les 950.000 foyers concernés par cette mesure sur le quotient serait de 360 euros par an. Par ailleurs, toujours en matière d'impôt sur le revenu (IR), la nouvelle équipe compte rendre moins avantageuses les déductions pour frais professionnels dits au réel. Et surtout, aligner la taxation du capital sur celle du travail. Cela signera la fin des prélèvements forfaitaires pour les plus-values immobilières et mobilières (19 %), les dividendes (21 %) et les intérêts (24 %). Concrètement, les ménages imposés au taux marginal d'IR de 30 %, 41 %, 45 % et 75 % y perdront. Soit tous ceux gagnant plus de 26.420 euros par an et par part. En revanche, les avantages fiscaux offerts par l'assurance-vie après huit ans de détention (taxation à 7,5 %) seront préservés. C'est bien l'une des seules mesures fiscales favorables aux ménages, avec le retour de l'indexation du barème de l'IR sur l'inflation (la non-indexation ayant provoqué une hausse de l'IR de 2,1 % cette année).Pour le reste, les Français se verront même davantage taxés au moment des héritages. Les abattements sur les droits de succession devraient passer de 159.000 à 100.000 euros par enfant. Le programme PS, qui sera décliné en juillet, est donc loin de ne viser que les Français très aisés. La refiscalisation des heures supplémentaires frappera même surtout les ouvriers. Entre le slogan affiché de la justice fiscale etla réalité, il y a quelques écarts...