Depuis quelques mois, la loi sur la numérisation des oeuvres indisponibles indispose bon nombre d'auteurs, dont je suis. J'ai déjà eu l'occasion de m'en expliquer à plusieurs reprises.
Ce matin, j'ai reçu copie d'une lettre adressée au nouveau Président de la République par Bernard Blanc.
Comme elle me semble aussi pertinente que bien tournée, je lui ai demandé l'autorisation de la diffuser ici. C'est donc avec grand plaisir que je vous la communique.
Et merci à Bernard pour ce joli courrier. J'espère de tout coeur qu'il recevra les suites qu'il mérite.
Lorgues, le 6/6/2012
Monsieur le Président,
Je vous parlais, hier, de la question des droits d'auteur qui bloquent la diffusion de chefs-d'oeuvre du cinéma français. Je vous fais confiance pour trouver une solution à ce problème. Hélas, cette même question empoisonne aussi l'existence des écrivains et des traducteurs littéraires.
En effet, la loi du 22 février 2011 permet désormais à une Société de perception et de répartition des droits, créée avec des fonds publics (on parle de 50 millions d'euros) d'assurer une rémunération aux éditeurs et aux auteurs grâce à la numérisation de tous les textes publiés avant le 1er janvier 2001 indisponibles en version papier. Cette société est autorisée à les remettre en vente et ce, sans que les auteurs ou leurs ayants-droit en soient informés. Il leur faudra surveiller régulièrement une base de données pour s'y opposer. Si le jour où l'une de leurs œuvres épuisée est numérisée ils sont en train de boire un coup à la plage ou de travailler à un autre livre en Sibérie, tant pis pour eux, ils n'avaient qu'à être plus vigilants ! À leur retour, à eux d'engager une procédure longue et coûteuse avec un bon avocat pour s'opposer à cette violation du droit d'auteur et du Code de la Propriété intellectuelle.
Bien sûr, il est essentiel d'assurer l'édition numérique de toutes les œuvres du XXème siècle. C'est notre patrimoine, et il doit rester à la disposition de tous. Mais pas sur le dos des auteurs ou de leurs ayants-droit ! Il n'est pas acceptable qu'un éditeur décide de ne plus exploiter une œuvre papier et soit rémunéré à égalité avec l'auteur quand un texte tombe sous la loi du 22 février 2011. En gros, le patron ferme l'usine, mais il continue à toucher un pourcentage sur l'allocation chômage de ses ouvriers – j'aimerais savoir ce qu'en pense Mr Arnaud Montebourg, Ministre du redressement productif !
Et si je décide de distribuer gratuitement un de mes livres dont j'ai récupéré les droits ? La société qui gère tous les textes indisponibles en version papier publiés avant le 1er janvier 2001 me fera un procès ? Monsieur le Président, on marche sur la tête, là. C'est l’auteur – ou, à défaut, ses ayants droit – qui décide seul d’une nouvelle diffusion de son œuvre. Tout éditeur – numérique ou papier – qui souhaite exploiter à nouveau l'œuvre en question doit d'abord lui proposer un contrat.
Le 22 février 2011, l'État français a légalisé le piratage. Je vous prie de demander à votre Ministre de la Culture (à laquelle j'envoie une copie de cette lettre) d'abroger tout simplement cette loi et de chercher, en concertation avec les auteurs et les éditeurs, un moyen plus décent de remettre en circulation les œuvres littéraires et les traductions introuvables en version papier.
Dans l'attente, recevez, Monsieur le Président, l'assurance de mes meilleurs respects.Bernard Blanc