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Lire Lévi-Strauss en Pléiade

Publié le 09 juin 2012 par Fmariet

Claude Lévi-Strauss est entré en Pléiade (Gallimard). Les moins techniques de ses textes y sont réunis dans un volume de 2 063 pages, avec ilustrations, notes et index (ces textes sont également accessibles séparément au format de poche).Mais Claude Lévi-Strauss est aussi, comme Freud ou Marx, de ces grands savants qui furent de grands écrivains. Le plaisir de lire est au rendez-vous : commencez par Tristes tropiques si c'est votre première lecture de Lévi-Strauss. Mais nous avons bien d'autres raisons de lire Lévi-Strauss. Surtout si l’on est au métier des médias, du marketing et de la publicité.
Méditation métaphysique et politiqueElle prend la forme de notations tendres et sceptiques, d'avertissements résignés mais radicaux. A propos de l'uniformisation, par exemple, vers laquelle converge aveuglément la gestion triomphale des médias, méditer la fin pessimiste de Tristes tropiques : « Lorsque l’arc-en-ciel des cultures humaines aura fini de s’abîmer dans le vide creusé par notre fureur» ... (p. 444), qui rappelle "l'humanité réduite au monologue" que fustigea Aimé Césaire. Ou encore, l'intuition de la communication écrite que l'on voudrait tant croire libératrice et qui semble aussi au service de l'asservissement, "des dominations" (p. 293), rappelant que l'oeuvre politique de Jules Ferry fut inséparablement coloniale et scolaire. Cette lumière désenchantée, jetée, comme en passant, sur les fondements des médias, comment éclaire-t-elle Internet, l'information mondialisée, la numérisation des produits culturels ?
Hygiène méthodologiqueAlors que fleurissent des études média se réclamant de l’ethnologie, il faut revenir aux textes fondateurs, et professionnels. Bien sûr, on en rêve tous d’une ethnographie du portable chez les adolescents, de la télévision en famille, des comportements dans les points de vente… A (re)lire Lévis-Strauss, on percevra toutefois ce qu’il faudrait de patience, de temps, de sens de l’observation et de connivence pour étudier de telles situations sans les altérer. A quelle condition serait possible une ethnographie des médias ? Reprenons ces trois exemples.Pour le premier cas, il faudrait d'abord un ethnographe adolescent. Un adulte observant les ados ? Absurde. Il ne saisira, au mieux, que le comportement d’adolescents observant un chargé d’études prétendant les observer.S’installer dans une famille pour l’observer regardant une émission de prime time ? Certains prétendent le faire. Il faudrait le talent de Coluche pour l'évoquer sérieusement : « C’est un mec, y vient chez toi. Bonsoir tout le monde. Faîtes comme chez vous, continuez ... Le petit carnet ? C'est pour prendre des notes. J'peux prendre des photos ? Me regardez pas, faîtes comme d’habitude, comme si j’étais pas là… ». On oublie.Reste l’ethnographie du point de vente. Travailler comme employé, restocker les linéaires, tenir une caisse… Ecouter, noter, apprendre… Sans doute, mais il y faudrait des mois et des mois. "S’établir", comme, en 1968, le prônaient Robert Linhart et ses copains (cf. L'établi). Encore manquerait-il la discussion avec le chaland informateur : pour quoi achetez-vous cette boîte de céréales et pas celle-ci, en admettant qu'il/elle le sache ?Règle première : l’ethnographe doit être invisible aux "sauvages" qu'il observe, paradoxe de l’observation participante. Restent l'introspection sociologisante, les histoires de vie (cf. The Uses of Literacy, de Richard Hoggart), l'infiltration à la Günter Wallraff.Avant de prétendre au métier d’ethnographe, lire Lévi-Strauss.
Des angles de lecture technique pour aiguilllonner l'étude des médias et de la publicitéPar exemple. La réflexion sur les mécanismes classificatoires et les termes dont usent les langues en leurs taxonomies. On est au cœur des moteurs de recherche. Le totémisme aujourd’hui, et surtout La pensée sauvage devraient être des manuels lorsque l’on classe et organise pour les vendre, qui des objets (catalogues), qui des comportements et des mots à fin de médiaplanning. Suivre l’ethnologue travaillant sur les noms communs, les noms propres, les syntagmes, évaluant les "quanta de signification". Dans Regarder Ecouter Lire, suivre l’analyse du montage et de la logique d’agrégation qui opèrent dans les œuvres d’art …qui aidera à comprendre la structuration des contenus média. Dans La Potière jalouse, les réflexions sur la définition des mots où s'applique l'analyse de la pensée mythique. Dans La Pensée sauvage, la fameuse apologie du bricolage et du mythe comme morceaux de code assemblés.Et partout, à chaque page, l’invitation en acte à la modestie, à la prise en compte scrupuleuse de tous les faits. Bricolage et braconnage théoriques au seuil de la philosophie, de la poésie, sans jamais s'y laisser aller. Une œuvre où il fait bon se perdre.

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