Source : bobloblog
« Ai-je fait un bel usage de ma présence au monde ? » telle est la question que l'on se pose à la suite de Lyonel Trouillot, avec la lecture de son tout dernier roman, La belle amour humaine.
Anaïse vient à Haïti depuis sa grande métropole pleine de lumières pour comprendre les raisons de la disparition de son grand-père et de l'ami de celui-ci, le Colonel dans un mystérieux incendie. Elle cherche aussi un père qu'elle n'a pas connu.
Pour son voyage-enquête, Anaïse prend pour guide Thomas, chauffeur de taxi de son état. Il est beau parleur, connaît la
capitale comme sa poche. Il est un peu philosophe à sa façon et surtout homme au grand coeur. Par son oncle artiste peintre célèbre, Thomas connaît bien l'histoire familiale d'Anaïse, les us et
coutumes du village d'Anse-à-Fôleur. Le long voyage nocturne entre la capital et le village côtier sera l'occasion d'une histoire très instructive pour la jeune femme.
Ainsi Anaïse apprendra que son grand-père et son ami le Colonel étaient très liés parce qu'ils partageaient par les
mêmes ambitions, le même goût du pouvoir, de la domination. Ils prenaient beaucoup plus au reste de l'humanité qu'ils ne donnaient, des profiteurs, n'ayant pour objectif dans la vie que celui
d'assouvir leurs envies. Alors forcément, ils ne pouvaient pas apparaître, d'aucune façon possible, sur le grand tableau vivant du village.
Entre le long monologue de Thomas et celui plus succinct d'Anaïse, L. Trouillot en profite pour glisser quelques
vérités bien senties. Il n'y va pas par quatre chemins pour dire ce qu'il pense des touristes qui vont et repartent de son pays en y apportant qui ses angoisses, ses préjugés, qui ses appétits
sexuels, ces « petits messieurs de la capitale » qui croient tout savoir mieux que les locaux, ou d'autres qui après leur voyage d'une semaine n'hésitent pas à se présenter
comme connaisseur du pays. On n'oublie pas non plus le cas des agents des organisations internationales. C'est franchement à lire car sans concession. Derrière le poète, l'auteur engagé n'est
jamais très loin. Et c'est tant mieux.
A travers le long monologue de Thomas que j'ai beaucoup plus apprécié que les pages relatant les pensées de la jeune
femme, peut être du fait du changement de ton nécessaire pour distinguer les deux discours, l'un plus riche plus vivant, l'autre un tantinet plus rétréci presque sclérosé, j'ai aimé les idées
développées par de L. Trouillot. Même si elles se trouvaient déjà dans ses précédents romans, ses vers ou même entre les lignes de son interview, j'ai aimé qu'il les reprennent de façon plus approfondies dans ce roman là. Le titre si évocateur n'est
autre qu'un petit bout d'un message de vœux publié en 1957 de Jacques Stephen Alexis (un médecin et un écrivain haïtien, connu pour ses prises de position contre la dictature).
Par le biais de magnifiques personnages, l'auteur déclare que chacun tient sa place de cette belle et grande humanité.
Il faut également ne pas demander à quelqu'un d'y occuper la place d'un autre. Qu'il faut savoir partager avec les autres « une ration d'aube et de rosée. »
Que dire aussi sur le fait que « chacun a son devoir de merveille », sa partition à jouer, sa petite
touche de peinture à ajouter au tableau de la belle amour humaine ? Que dire encore après les mots de Thomas : « Enfin mon village. J'y ai planté mes rêves. Et la terre qui
t'appartient, c'est celle où tu plantes tes rêves. Cette que tu aimerais léguer à tes enfants. » Et je vous en passe encore bien d'autres qui m'ont beaucoup touchées.
Anaïse est venue au village de d'Anse-à-Fôleur pour y chercher un père. Elle ne l'a pas trouvé. Elle cherchait d'autres
ciels, pour augmenter sa part de paysages humains. Elle n'a trouvé que des humains bien vivants.
Finalement, « tout ce qui compte, c'est le bonheur. Le reste, c'est des entraves. »
Un beau moment de philosophie toute simple pourtant essentielle et très bien soutenue par l'intelligente écriture de
coeur de L. Trouillot. A lire assurément.
Lire aussi l'interview de Lyonel Trouillot sur Biblioblog.