Entomologie

Par Eric Mccomber
Chères amies et amis, lecteurs et lectrices, lapideurs et leptides, vous qui me connaissez, n'ignorez sans doute point que votre serviteur, malgré sa légendaire modestie, demeure à son corps défendant, de prime abord, un scientifique mondialement reconnu pour ses travaux sur les gastéropodes du bassin de l'Aquitaine.
Cependant, peu réalisent mon statut de véritable maître à penser, d'expert incontestable de niveau plus-que-mondial (voie-lactaire ?) dans le très pointu domaine de la brachycerologie. Et cet après-midi, plutôt que d'aller me balader à vélo, me laver les pieds ou chatouiller la villageoise alanguie par la bouleversante barométrie de l'orage imminent, j'ai été pris d'une subite et incompressible envie de vous partager mes états d'âme sur certaines questions d'ordre, ma foi, assez strictement muscomorphique.
Nature
C'est dans la nature d'une mouche que de chatouiller les trous de nez de l'homme (et dans une moindre mesure, de la femme). La pauvre bébête cherche la chaleur. Il ne sert à rien de s'étonner des comportements innés d'une créature aussi simple que le diptère, quelle que soit sa dénomination. Les cyclorrhaphes sont comme elles sont, I am what I am, chacun livre son dure combat (comme le disait la maman de Bob Dylan, mais je perds le fil…).
Méthode
Je tiens donc en fait, et vous finirez par voir où je veux en venir, à rappeler à mes amies et amis lecteurs (et en particulier à ceux qui chaque soir se font gratifier de toutes les couleurs de matraques que peut mettre au monde l'american dream), qu'il est tout à fait inutile de négocier avec une mouche, de lui faire des concessions, de lui promettre de bien se tenir si elle s'engage à nous respecter, ou même de lui faire part huit heures à l'avance du trajet que vous comptez emprunter lors de vos activités d'être humain. La seule chose à faire avec une mouche qui ne nous lâche pas le visage, c'est de plier le journal et de l'écrabouiller.
Morale
C'est pas baba cool, c'est pas bouddhiste, c'est pas écolo (même si ça permet à l'arbre sacrifié par l'impression d'un exemplaire d'un journal presque à coup sûr pourri de servir une seconde fois, ce qui constitue, entre vous et moi, rien de moins qu'un exemple patent de récupération et de durabilité), c'est juste la constatation d'un type qui travaille beaucoup dans sa chambre au cinquième étage d'une maison dans une campagne du sud de la France et qui à ce titre commence à avoir un sacré bagage d'expérience avec les mouches.
Terrain
Neuf mouches sur dix repartent par la fenêtre après une vague menace du revers de la main. Zooouuuzzzz. Je ne me jette pas dehors pour crapahuter derrière elles sur les toits (ce que fait parfois ma minette, mais elle est jeune, espiègle, et imperméable au ridicule). Je les laisse filer sans demander leur reste. Je ne tire pas le moindre plaisir dans ma chasse à la mouche. J'ai simplement besoin de bosser sans qu'on me déconcentre. Puis, psychologiquement, ça fait du bien quand on agit, qu'on cesse de subir.

Conclusion
Cependant, c'est un fait incontestable qu'une fois par jour minimum, je dois gérer un cas. Elle n'a pas conscience de n'être qu'un minuscule emmerdement face à mon immensité objective. Elle ne réalise pas les proportions représentées dans notre affrontement. Je crois qu'elle vit une sorte d'ivresse de l'impunité. Elle vole de mon aisselle à mon œil en se posant une minute sur ma main, toute saoulée de sa puissance dans sa capacité de m'emmerder, de gâcher ma concentration. Je n'ai pas le choix de m'arrêter dans l'arc de mes activités planifiées. Je prends mon journal, soigneusement plié à cet effet depuis le petit matin et rangé à côté de l'ordi. Je tente une ultime fois d'éloigner la nuisance. Puis j'attends patiemment qu'elle aille se poser. Là, euh… ben… flob. Adieu. Next. Et hop ! je retourne au boulot.
Voilà, c'est ma posture.
Alors, vertu sæl, comme disent les Islandais.
É.
ps  (ouate de FAQ)
— Et si jamais Saint-Pierre est bouddhiste ? 
Il dira sans doute que ces mouches avaient tout de même la responsabilité de préserver leur propre vie de pondeuses d'œufs de mouches dans la merde et qu'après tout, pute-borgne-de-foutre, c'est que des mouches ! Pis, bon-sang, elles n'avaient qu'à pas se mettre ainsi à la portée du plus dangereux prédateur de toute l'histoire de la planète et lui faire perdre sa vie.
pps
— Et si jamais Saint-Pierre est chrétien ? 
Ah, dans ce cas, il y a encore moins de soucis, puisque contrairement à la population en général, les anges du paradis voient tout ce qui se passe et ont depuis longtemps griffonné un petit X à côté du numéro de maillot des types qui ordonnent à des tarés en armures de tabasser des petites filles.
ppps
— Et si Saint-Pierre n'existe pas, et qu'y a rien après la mort, et gnagnagnaaaa… 
Ben mannn, hhha plus qu'à faire la fête, voyons. Imagine all the people…
 
pppps
— Gnuu ?
Non, ce texte n'est en rien une allégorie lafontainesque dans laquelle un certain gros cave un peu charretier serait représenté par une mouche. Monsieur l'honorable moron en question n'est surtout rien de plus qu'une (petite) goutte de diarrhée de mouche pendouillant de manière disgracieuse au cul (gluant) de la mouche. La mouche, je vais vous le révéler, moi, la mouche, c'est© Éric McComber