Socialisme politique, socialisme génétique ? Le point sur les déterminismes électoraux

Publié le 09 juin 2012 par Tchekfou @Vivien_hoch

Caricature : voire ! Etre de gauche comme être de droite n’est pas forcément qu’un simple épiphénomène politique. Il y a bien longtemps que la sociologie électorale est venue confirmer les déterminismes, qu’ils soient géographiques (cette France du calcaire qui vote à gauche!), sociaux ou culturels, qui structurent un vote. Le milieu de vie oriente le vote politique, l’entretien, le façonne et le perpétue de génération en génération. Seule une modification de ce milieu (chômage, urbanisation, paupérisation, enrichissement…) explique ensuite de nouveaux votes, de nouveaux comportements électoraux. Tel ce vote de gauche qui se reporte aujourd’hui sur le FN.

Les déterminismes politiques dûs au travail

Si les déterminismes de droite les plus fréquents sont souvent ceux du niveau de vie, de l’orientation professionnelle, et de moins en moins, ceux de la religion et de la famille, il est intéressant de regarder les déterminismes de gauche, qui eux, sont plus profonds encore. Autant le vote de droite se structure souvent par le métier, l’engagement dans le travail et l’épanouissement qu’il procure, autant le vote de gauche se structure encore par le rapport à la société, à l’environnement social et autour d’une posture critique - et en retrait - du travail.

La position hiérarchique est toujours importante: les patrons de gauche existent, mais sont minoritaires et sont surtout présents dans les “nouveaux métiers”, orientés sur les services, la technologie et les médias. Le gestionnaire est plus souvent de droite, le créatif est plus souvent de gauche, d’où la meilleure capacité des forces politiques de gauche  à exceller dans les milieux culturels et d’y installer leur monopole.

Mais le rang ou la stature sociale ne sont pas forcément les seules clefs de lecture : le rapport au travail est un clivage, un déterminisme plus puissant encore. Qu’attend t-on de son travail? Un simple passage obligé pour gagner sa pitance ou au contraire, un moyen d’épanouissement et d’élévation? Clivant, dirait-on sur les terrasses de Saint Germain des Prés! Le glissement des classes moyennes et de la classe ouvrière, terres traditionnelles de la gauche, vers la droite installée ou populiste peut aussi s’expliquer par des attentes particulières liées au travail (s’enrichir, avoir conscience que travailler plus peut faire gagner plus, chercher les heures supplémentaires …). C’est donc bien le rapport au travail qui l’emporte sur la situation sociale générée par le travail, pour orienter ou réorienter les votes, aujourd’hui. A l’époque où un ouvrier restait forcément un ouvrier, l’absence de mobilité sociale figeait également les comportements électoraux.

Les bastions de gauche qui restent les plus puissants sont donc ceux qui se sont structurés dans un rapport au travail qui ne fait pas de la productivité la variable d’ajustement, ni la clef de la réussite ou de la promotion : Fonction publique, où l’essentiel de la promotion reste mue par les concours, et entretient  donc la prééminence de ressorts théoriques pour s’élever; le monde mutualiste, où les 35 heures cèdent souvent la place aux 32 heures (31,5 heures à la MACIF, 9 000 salariés), les milieux para-publics, associatifs … Tout ce qui ne vit pas au rythme des marchés et des chaînes de travail reste solidement et très majoritairement à gauche.

Si le monde du travail est un puissant clivage des votes, selon la conception qu’on en aura, il n’est pas suffisant cependant pour expliquer la globalité des déterminismes.  Le rapport au réel est un autre aspect, encore plus global, de ce qui peut structurer un vote au delà d’une élection ou d’un contexte particulier.

La tenace prééminence de la gauche dans les milieux enseignants, chez les journalistes, les écrivains, les artistes, les médias (…) et autres “créatifs” s’explique aussi par cette posture théorique par rapport au réel, par cette croyance alimentée par son activité, que l’on peut et que l’on doit tordre la réalité, la façonner selon des principes, des idées. Que l’esprit est toujours supérieur au quotidien, et que l’immédiateté de l’histoire est un leurre.  La posture socialiste est essentiellement construite, nous le savons, sur l’idée que l’homme domine son environnement plus qu’il ne le subit. C’est ainsi que la gauche se réserve et revendique le monopole du coeur et des idées, c’est aussi pourquoi elle se prend toujours si violemement les froides réalités dans la figure, et qu’elle passe l’essentiel de son temps dans l’opposition. La vie ne s’apprend pas dans les livres, elle s’y raconte, elle s’y explique tout au plus …

Regardons un instant le microcosme de la “planète Education Nationale”  pour comprendre la puissance des déterminismes de gauche. Qu’il vente, qu’il pleuve, peu ou prou, 70 à 80% du corps enseignant vote à gauche, dès le premier tour des grandes élections. Seuls les journalistes font mieux, parfois. Un record, sans équivalents : aucun corps social ne vote aussi massivement à droite, mêmes les traders ou les plus affreux capitalistes ne le font peut être pas.

Quelles réalités puissantes peuvent structurer aussi fortement un vote, de génération en génération? Il faut pour le comprendre revenir à la génèse, aux gènes de ce microcosme. Remarquer d’abord, la permanence de la profession, de génération en génération: les profs restent encore les plus nombreux à être fils et filles d’enseignants. Comme une couronne, un titre, qu’on se transmettrait. Remarquer aussi la formidable culture, qui est créée, organisée: les enseignants restent aussi parmi les plus nombreux à se marier ou à vivre entre eux, orientés en celà par les ressorts de leur mobilité professionnelle. Si ils ne sont pas regroupés en casernes comme les militaires (autre famille structurée et puissante, mais de droite), leur mobilité sociale  plus ou moins obligée, les incite souvent à se regrouper et à se fréquenter, plus que dans d’autres milieux professionnels.

Analyser aussi les mécanismes quasi-darwinien et la sélection méthodique qui façonne quasiment un “gène professionnel” particulier : le futur enseignant est un ancien étudiant qui ne serait jamais sorti de sa salle de classe : tout au plus passe t-il  derrière le bureau  après avoir été devant le bureau. Son parcours social se réduit donc souvent à quelques mètres, sans jamais avoir mis le nez dehors! La vitesse de ce court déplacement sera rythmé par le nombre de fois qu’il aura à passer son CAPES: le réussira t-il du premier coup, ou bien en 2, 3, 4 fois? Les ridicules moyennes d’admission tendent à accélerer cette “réussite” au moins autant qu’à résoudre la crise de vocation qui raréfie les candidats.

Mimétisme générationnel et professionnel, absence d’itinéraire social tangible, contacts avec la société fortement orientés par la fréquentation de ses “semblables” et par les enjeux de son propre milieu … L’enseignant reste dans une posture théorique qui détermine son métier, son rapport au réel. Ses repères politiques  peuvent donc difficilement être marqués par une quelconque real-politik !

Il n’est alors pas compliqué de trouver là les racines les plus solides de la structuration d’un vote : il n’y a aucune raison pour que le corps enseignant vote à droite, la force de ses idées et des ses croyances (et surtout le souci de la défense de ses spécificités) résisteront à la réalité économique la plus crue. Ses talents discutables de gestionnaire (60% du budget de l’Etat!), sa ligne d’horizon, en font l’archétype d’une forteresse catégorielle, d’un monde ou d’une planète dont l’orbite recoupe imparfaitement les tristes réalités d’horaires, de rythmes de vie, d’aélas professionnels négatifs (chômage …) ou positifs ( promotions , changement de métier, évolution …) qui sont les soucis du commun des mortels.