Dans une enquête, Mediapart révèle le programme culturel de François Hollande, tel qu'il avait été préparé par l'équipe d'Aurélie Filippetti, devenue ministre de la Culture. Il prévoyait bien l'abrogation de l'Hadopi et la création d'une forme de "contribution créative" pour légaliser les échanges d'oeuvres entre particuliers, moyennant le paiement d'une taxe collectée auprès des FAI. Mais le sujet lui a échappé, après que des hommes de l'ombre ont agi pour reprendre le dossier en main auprès de François Hollande.
On se souvient que lors de la campagne électorale, le sujet de l'avenir de la loi Hadopi a créé une rare cacophonie dans le camp de François Hollande. Au point que nous avions un jour titré que sur ce dossier, "le changement c'est tout le temps". On a beaucoup entendu dire, et nous l'avons nous-même écrit, que les propos contradictoires tenus pendant la campagne étaient dûs aux rivalités entre Aurélie Filippetti, chargée de la Culture, et Fleur Pellerin, chargée du numérique.
Or un article de Mediapart apporte un autre éclairage. Le journal d'Edwy Plenel raconte "l'histoire secrète du programme culturel du candidat Hollande", en publiant le projet de programme élaboré par le pôle culture de la campagne de François Hollande. Il est fourni au journal par Juan Branco, alors conseiller d'Aurélie Filippetti et militant de l'abrogation de l'Hadopi et de l'adoption d'un système de "contribution créative".
Le document daté du 21 mars 2012 montre qu'en effet, l'abrogation d'Hadopi était proposée avec deux axes d'accompagnement. Le premier axe était la création de nouvelles sources de financement, avec en particulier une taxe sur les FAI dont la collecte et la répartition auraient été placées sous le contrôle d'une nouvelle "autorité chargée du contrôle de la collecte des fonds, de l'analyse des réseaux et des consommations numériques". Etaient aussi envisagés toute une série de mesures pour développer l'offre légale. Le deuxième axe, rassurant pour les ayants droit, était celui du "renforcement des moyens de lutte contre la contrefaçon", avec une obscure "facilitation des procédures judiciaires contre la violation du droit moral et de la contrefaçon commerciale", et une "accélération de la lutte contre le streaming illégal".
Le projet, même s'il est flou sur l'articulation entre la lutte contre certaines formes de piratage et la légalisation des échanges entre particuliers, se voulait équilibré. Et le pôle culture croyait la partie gagnée, ayant eu le feu vert de Pascal Rogard, le directeur de la Société des Auteurs Compositeurs Dramatiques (SACD), sans doute le lobbyiste culturel le plus influent de la place de Paris.
Mais patatras.
"Le 2 mars, dans l'après-midi, Le Monde publie une tribune sur la culture, signée par le candidat et qui n'avait pas été préparée par l’équipe d'Aurélie Filippetti", rappelle Mediapart.
Fait amusant, ce jour-là Numerama avait reçu un coup de fil d'un membre de l'entourage proche de François Hollande, pour tenter de dégonfler l'importance de la tribune, qui paraissait revenir (encore une fois) sur les engagements d'abrogation de l'Hadopi.
"On comprend alors, mais très tard que le shadow pôle culture existe", se souvient Juan Branco, qui n'a pas été retenu dans l'équipe d'Aurélie Filippetti, sacrifié sur l'autel des lobbys culturels. Alors que le pôle culture agit en façade, des conseillers obscurs agissent en coulisses. Parmi eux figurent Sylvie Hubac, alors présidente du Conseil supérieur de la propriété littéraire et artistique, devenue directrice du cabinet de François Hollande. "Notre rencontre avec Sylvie Hubac a été assez violente. Elle nous expliquait qu'on faisait le contraire de ce qu'il fallait faire", raconte Branco.
"L'équipe culture se heurte aussi à Constance Rivière, déléguée générale de la campagne, ancienne rapporteuse de la mission Zelnik sur le développement de l'offre culturelle légale sous Sarkozy et aujourd'hui conseillère à l'Elysée sur les libertés publiques. « Elle nous a mené une guerre sans merci pour que l'on passe de l'“abrogation” au “remplacement” de l'Hadopi. »".
Le dossier est désormais étroitement surveillé, et la mission confiée à Pierre Lescure pour négocier "l'acte 2 de l'exception culturelle" n'a pas envoyé le meilleur signal à ceux qui espèrent une profonde remise en cause de la politique culturelle sur Internet.
Article diffusé sous licence Creative Common by-nc-nd 2.0, écrit par Guillaume Champeau pour Numerama.com