À laterrasse du café Le Médoc,
Deux officiers causaient.
Tout à coup, un nègre électrisé,
Très grand, chamarré de breloques
Passa devant eux. Il riait aux passants.
Il riait au soleil éclatant.
Il riait à Paris tout entier.
Soudain il aperçut les deux officiers.
Les coins de sa bouche lui montèrent
Jusqu’aux oreilles,
Découvrant ses dents claires
Comme un croissant de lune dans un sombre ciel.
Les deux hommes contemplèrent le géant
Sans rien comprendre à son enjouement.
-« Mon lieutenant, Bonjou !
Moi aimé toi beaucoup. »
L’un des officiers était chef de bataillon :
-« Je ne vous connais pas. Que voulez-vous ? »
-« Si, toi Lieutenant Védion,
Moi aimé toi beaucoup.
Beaucoup raisin à Siège Mézi
Toi punissé nous. »
-« Tombouctou ? !»
-« Si. Mon lieutenant reconné Tombouctou ! »
-« Assieds-toi-là. Que fais-tu ici ?»
-« Moi gagné agent beaucoup.
Pussiens, moi, beaucoup volé.
Deux cent mille fancs à moi.
Moi, gand estaurant. Bon mangé. »
-« Très bien, Je vois !
Félicitations, Tombouctou ! »
-«Au evoir, mon lieutenant, bonjou. »
Et le nègre s’en alla.
L’autre officier demanda :
-« Ce noir, c’est qui ? »
Le commandant lui répondit :
-« Un bon garçon. Un brave gars.
Au début de la guerre,
(Nous étions en 1870)
J’étais lieutenant.
Les Prussiens encerclaient Mézières
Que ce nègre appelle Mézi
Et nous empêchaient de lever le camp.
Il était toujours dehors et toujours gris.
J’avais beau le sanctionner, rien n’y fit.
Il ne disposait pas d’argent.
Alors, où buvait-il ? Avec quoi et comment ?
Cela m’intriguait
Je le fis venir et l’interrogeai.
Il m’a dit être le fils d’un roi africain,
Chavaharibouhalikhrapalaravé
Ou quelque chose de voisin.
Je lui demandai où il buvait
Il me dit : «Moi et mes copains…,
Dans les vignes, mon lieutenant. »
Ils parcouraient en effet les ceps voisins
Pendant des heures, happant le raisin,
Arrachant les grappes à coups de dents.
Un jour,
Tombouctou est rentré au camp
Chargé de deux sacs très lourds.
Je voulus savoir ce qu’il transportait ainsi.
Il me répondit en riant :
-« Moi, povisions pou pays.
Nous supis pa Uhlans.
Nous, tous les égogés
Et moi tout leu chapadé. »
Il ne faisait pas la guerre pour l’honneur
Mais pour le gain, tel un pilleur.
Il détachait l’or des galons,
Le cuivre des casques, les boutons…
Il volait les billets et les pièces d’argent,
Tous les objets brillants.
Il avait même, parait-il, un magasin
Où il entassait ses trouvailles.
Mais où ? Je n’en sus jamais rien.
En représailles,
Les prussiens fusillèrent
Le vigneron et le maire.