Vous avez tout donné pendant 30 voire 40 ans à une « maison » qui est devenue une « boite » .
Dans cette « maison » ou vous y faisiez un travail bien fait, partagé avec vos collègues, avec vos chefs, ou le plaisir, la reconnaissance récompensaient les efforts, « maison » dans la quelle vous étiez heureux.
Cette maison est devenue une « boite » inhumaine, glaciale, sans aucune reconnaissance morale .
Un beau jour , vous ne rentrez plus dans les normes : vous êtes trop vieux, vous faites partie des services non productifs, vous n’êtes plus dans le bon bâtiment (réorganisation géographique), votre spécialité va être externalisée (rendement oblige). Bref vous êtes à la mauvaise place au mauvais moment. Et là commence la descente aux enfers.
Forcé, broyé, pressé, stressé, on vous oblige à rentrer dans le « moule normalisé ».
Puis, arrêt de maladie, comité médical ou commission de réforme, vous voilà en CLM ou CLD ou, avec de la « chance », en « Maladie contractée en service » voire, si vous avez un peu plus de « chance », en « accident de service ».
Vous descendez dans le plus grand et le plus vertigineux gouffre qu’il soit possible d’imaginer.
Dès le premier jour de maladie, fini les collègues, vous êtes oublié, fini la boite, vous êtes oublié. Plus aucun contact de qui que ce soit. Et vous êtes seul, personne à qui vous confier, personne pour vous conseiller, seul et vous vous enfoncez dans cet immense trou noir qui vous avale. Vous glissez sans pouvoir réagir au fond du gouffre.
La peur, l’angoisse. Peur du lendemain , peur morale, peur matérielle, on a honte de ce qui nous arrive … On se donne une apparence de personne normale pour paraître normal devant les autres, ses enfant, son conjoint, une fois seul on pleure, on crise, on se révolte contre soi-même.
Le conjoint, personne n’en parle et pourtant il souffre autant que vous, il ne vous comprend plus. Il ne peut pas toujours comprendre et vous , vous ne comprenez , vous ne supportez pas qu’il ne puisse pas vous comprendre.
Cette situation se découpe en périodes administratives, rythmées par des durées réglementaires : durée du CLM, du CLD, passage en comité médical ou en commission de réforme.
Vous ne pouvez pas savoir, sauf vous les « Blessés » qui vivent cela, ce que peut générer la simple sonnerie activée par le facteur. NON vous ne pouvez pas savoir que l’angoisse monte, vous prend les tripes. Cette sonnette vous terrorise . Que va t’il encore m’arriver ? que vont ils encore me faire? Car cette sonnette annonce l’arrivée d’une lettre recommandée de la boite car vous êtes en fin d’une de ces périodes administratives. Bien sûr que c’est cela il ne peut en être autrement.
Que le facteur apporte une lettre de la « boite » ou autre chose, l’angoisse est là , je dirai même la « terreur », cet épisode accélère la descente inexorable au fond du gouffre.
Quand le communiqué (voir ci-dessous) diffusé par l’employeur cite « Le CLM devait s’achever le 20/6/2012. Une demande de prolongation du CLM allait être déposée », personne ne peut imaginer ce que cette phrase cache pour le fragilisé.
Je le sais parce que je suis passé par là, vous le savez peut-être par ce que vous êtes passé par là.
Cette situation de souffrance de mal-être ne s’arrêtera jamais, tant qu’il n’y aura pas eu de vrai reconnaissance. Même si le mot »retraite » est censé clôturer cette étape de la vie, le livre ne sera jamais fermé..
Je ne sais pas ce qu’il s’est passé dans le cas de notre collègue, je peux aisément et malheureusement imaginer que ce scénario pourrait être proche de la terrible réalité.
Aujourd’hui nos pensées vont à sa famille, ses enfants sur les quels ce malheur(malheur: est-ce un mot suffisant?) s’abat .
Ce message je l’adresse aussi à un homme politique que j’ai rencontré il y a quelques jours et avec qui j’ai échangé quelques minutes sur ce sujet.
Il nous dit, je ne suis pas là pour m’occuper de la gestion des communes, des collectivités locales etc., je suis là pour proposer, et faire voter des lois.
Si vous lisez ce texte, Monsieur, voici un exemple de drame que risque malheureusement de se reproduire si rien n’est fait (*), et comme vous le disiez « Vous êtes une éponge, et vous vous imprégnez de ce que vous vivez, lisez et entendez », merci de prendre en compte ce genre de situation quand vous serez dans l’hémicycle.
Voici l’article de La Voix Du Nord du 5/06/2012
La Voix Du Nord : Un forcené retrouvé mort: Suicide d'un agent de France Télécom
Texte du mail diffusdé par la Direction aux Organisation syndicales
J’ai le regret de vous informer du décès de Monsieur Xavier Husse de l’Unité d’Intervention Nord – Pas de Calais.Monsieur Husse s’est donné la mort hier à son domicile, avec une arme à feu le 4 juin .
M. Husse était technicien répartiteur, âgé de 52 ans, marié et père de deux enfants.Il était absent pour maladie depuis le 30/3/2010 : d’abord en Congé Ordinaire de Maladie puis en Congé de Longue Maladie (CLM). Le CLM devait s’achever le 20/6/2012. Une demande de prolongation du CLM allait être déposée.
La presse régionale s’est fait l’écho des circonstances dramatiques de ce suicide qui fait suite à une violente dispute entre M.Husse et son épouse .
* Je faisais déjà cette remarque dans mon interview à Médiapart en Janvier 2011 voir le site médiapart