La Cour de cassation a rendu, le 5 juin 2012, un avis très remarqué. Elle y affirme que l’utilisation de la procédure de garde à vue à l’encontre des étrangers en situation irrégulière n’est pas conforme au droit de l’Union européenne, c’est-à-dire concrètement à la directive retour du 16 décembre 2008.
Par Roseline Letteron.
Palais de justice de Paris
La Cour de cassation a rendu, le 5 juin 2012, un avis très remarqué. Elle y affirme que l’utilisation de la procédure de garde à vue à l’encontre des étrangers en situation irrégulière n’est pas conforme au droit de l’Union européenne, c’est-à-dire concrètement à la directive retour du 16 décembre 2008.
Cet avis devrait mettre fin à une véritable cacophonie judiciaire, intervenue à la suite des décisions El Dridi du 28 avril 2011 et Achugbabian du 6 décembre 2011 rendues par la Cour de justice de l’Union européenne. Nous ne reviendrons pas sur les différentes étapes de ce contentieux, au demeurant parfaitement analysé par Serge Slama sur le blog Combat pour les droits de l’homme. Rappelons seulement que la Cour, dans cette jurisprudence, estime que la directive retour ne s’appose pas formellement à un placement en détention de l’étranger, le temps de clarifier sa situation et d’organiser son retour. Elle ajoute cependant que la sanction d’une année d’emprisonnement, prévue par l’article L 621-1 du code de l’entrée et du séjour des étrangers (ceseda) à l’encontre des étrangers qui ont pénétré ou séjourné en France de manière irrégulière, n’est pas réellement conforme à l’objectif d’éloignement immédiat poursuivi par la directive. En langage clair, la Cour affirme que mettre un étranger directement en prison n’est pas le meilleur moyen de le reconduire à la frontière.
Garde à vue et éloignement
La question qui se pose est alors celle de l’ordre dans lequel interviennent ces mesures. Pour qu’un étranger puisse être poursuivi sur le fondement de l’article L 621-1 du ceseda, c’est à dire pour son maintien irrégulier sur le territoire, il faut, au préalable, qu’il ait fait l’objet d’une mesure d’éloignement, et qu’il ait refusé de s’y plier. Or, la loi du 11 avril 2011 prévoit qu’une personne ne peut être placée en garde à vue que « s’il existe des raisons plausibles de soupçonner » qu’elle « a commis ou tenté de commettre un crime ou un délit puni d’emprisonnement » (art. 62-2 cpp). Autrement dit, et c’est bien la position de la Cour de cassation dans son avis du 5 juin, l’étranger ne peut pas être placé en garde à vue, préalablement à une mesure d’éloignement, qui, par hypothèse n’est pas « punie d’emprisonnement ». Cette position est d’ailleurs parfaitement conforme à la finalité initiale de la garde à vue qui a pour objet de rechercher les preuves d’une infraction et non pas d’effectuer une vérification d’identité.
Cet avis, on s’en doute, donne satisfaction aux associations qui se donnent pour mission la défense des étrangers, et notamment du Gisti, à l’origine de la procédure. Il reste cependant à s’interroger sur ses conséquences, sur l’onde de choc qu’il ne manquera pas de provoquer dans notre système juridique.
Conséquences pour les étrangers
À l’égard des étrangers tout d’abord, l’avis a pour effet immédiat d’empêcher l’utilisation de la période de pour organiser leur retour. On ne peut que s’en réjouir puisque cette utilisation n’est pas vraiment conforme à l’objet de la procédure. Il ne reste alors à la disposition de l’autorité de police que la procédure de vérification d’identité, dont on sait qu’elle doit durer « le temps strictement nécessaire » à l’établissement de cette identité, et, en tout état de cause, pas au-delà de quatre heures. Le problème est que cette durée risque d’être largement insuffisante, lorsqu’il s’agit de rechercher l’identité d’une personne qui est dépourvue de papiers et qui n’a pas nécessairement l’intention de coopérer. Dans ces conditions, l’Exécutif pourrait être tenté de saisir le législateur pour allonger la durée de la vérification. Une telle réforme n’irait certainement pas dans le sens d’un renforcement des libertés publiques. Rappelons, en effet, que le contrôle et la vérification d’identité s’appliquent à des personnes qui, par hypothèse, ne sont même pas soupçonnées d’avoir commis une quelconque infraction.
Évidemment, l’avis de la Cour de cassation fait aussi peser un hypothèque nouvelle sur les Centres de rétention administrative. Après que la Cour européenne ait décidé, dans une décision Popov du 19 janvier 2012, que la rétention des enfants pouvait constituer un traitement inhumain et dégradant si elle n’était pas organisée dans des conditions tenant compte de l’indispensable respect de leur vie familiale, c’est aujourd’hui la rétention des adultes qui se trouve indirectement menacée. En effet, la procédure de rétention peut être utilisée à l’encontre des étrangers en instance d’éloignement. Il faut donc que leur identité ait déjà été établie, par une procédure préalable qui ne sera pas la garde à vue.
Conséquences pour la garde à vue
C’est précisément à l’égard de la procédure de garde à vue elle-même que l’avis de la Cour de cassation suscite le plus de questions. Il présente l’intérêt de sanctionner le détournement de sa finalité, notion extrêmement intéressante. Car ce détournement n’intervient pas seulement à l’égard des étrangers, mais aussi dans beaucoup d’autres domaines, par exemple dans le cas d’infractions routières.
Mais le principal détournement de finalité est ailleurs. Car la garde à vue peut aussi être décidée dans un but purement statistique. Il n’y a pas si longtemps, les ministres de l’intérieur successifs exigeaient une hausse constante des résultats de la lutte contre la délinquance. Et l’un des critères essentiels utilisés pour montrer à quel point on luttait efficacement était précisément le nombre des gardes à vue. Alors quand il fallait faire du chiffre, quand la RGPP ne permettait guère de mettre en place des moyens importants à l’appui des enquêtes judiciaires, on faisait de la garde à vue.
Cet avis de la Cour de cassation risque donc de faire baisser les statistiques, du moins les statistiques telles qu’elles ont été conçues pour venir renforcer une politique sécuritaire purement cosmétique. C’est peut-être le moment de changer les modalités de leur calcul, et de s’interroger sur la survie de l’Office national de la délinquance et de la réponse pénale (ONDRP), l’une des nombreuses officines dont monsieur Alain Bauer vient précisément de démissionner. À elle seule, cette démission suffit à démontrer l’indépendance de l’institution.
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