Parce qu’une blogueuse tendance et glamour se doit impérativement de raconter à un lectorat généralement prolo et fauché ses voyages sponsorisés aux Seychelles, à Venise ou à Romilly-sur-Aigre.
Mercredi, je revenais d’un déplacement.
Bah oui parce que des fois, je me déplace pour mon travail. Ça en jette de dire ça mais en vrai, c’est pas forcément toujours très rigolo.
La preuve, mercredi.
Quand je voyage en Tégévé pour la Boîte, je suis en “Première Classe Pro”. Ça veut dire que contrairement aux gueux qui sont Seconde, on peut se gratter l’omoplatte gauche avec la main droite, rapport au fait qu’on a presque deux centimètres de plus pour bouger. Et puis on peut théoriquement brancher un ordinateur portable ou un vibromasseur sud-coréen à côté de son siège, ou même un rasoir électrique, ce qui est très pratique pour peu qu’on ne se trompe pas d’appareil ni d’orifice. Et donc tu te doutes bien que tout ça justifie le Paris-Vesoul au tarif d’un remplacement de prothèse de hanche à la Clinique de la Prairie en Suisse.
Mercredi, donc, j’étais assise à côté d’un monsieur très sérieux et très bien habillé qui ressemblait à Christian Bale, qui est un acteur que j’aime bien parce qu’il a remplacé Julien Lepers Michael Keaton dans Batman, et aussi parce qu’il a joué dans American Psycho, qui est un film à caractère éducatif qu’on devrait projeter plus souvent aux soirées étudiantes d’HEC et pendant les conventions des Jeunes Populaires.
Le sosie de Christian Bale, il était hyper-concentré sur l’écran de son ordinateur où il y avait tout plein de chiffres qui défilaient dans tous les sens, et en même temps il répondait à quinze mails simultanément sur son Blackberry. j’étais très admirative et j’ai failli faire semblant de faire des choses mathématiques, moi aussi, en affichant ostensiblement à l’écran le dernier mail de mon manager avec les trucs prévisionnels en forme de morceaux de camembert, mais en vrai j’ai pas eu le courage, alors j’ai continué à regarder Ghosts of Mars. Tout était calme dans le wagon, c’était sûrement un peu à cause de la climatisation qui était en panne et des trente-six degrés qu’il faisait.
A un moment, j’ai eu un petit peu faim, alors je suis allée dans le wagon-bar du Tégévé. Là, j’ai fait la queue environ quarante minutes car il y avait trois personnes avant moi, et ça m’a donné le temps de réfléchir à ce que j’allais acheter, et donc j’hésitais beaucoup entre le “Menu Petit Prix Malin” à vingt euros et le “Menu Gourmet” à vingt-cinq euros. En fait la grosse différence entre les deux, c’était surtout qu’il y avait un dessert dans le menu “Gourmet” (une galette Saint-Michel qui avait l’air vraiment très bonne), alors que dans le menu “Petit Prix”, il n’y avait que le plat, mais c’était le même par contre (un sandwich au pâté Hénaff avec une tranche de fromage “Marque Repère” de chez Lidl). Quand je suis arrivée devant la dame qui encaissait les menus et qui ressemblait un peu à une nageuse olympique est-allemande, j’ai fini par me décider.
- Je voudrais un menu “Petit Prix Malin”, s’il vous plait madame.
- J’en ai plus.
- Ah? Bon…tant pis…je vais prendre un menu “Gourmet”, alors.
- J’en ai plus.
- Ah? Ben…je vais prendre juste un sandwich au jambon, alors.
- j’en ai plus.
- Ah? Ben…je vais prendre une salade “fraîcheur”, alors.
- j’en ai plus.
- ….
- ….
- ….
- Sinon il me reste une tartine “Dégustation”. Vache Qui Rit sur baguette. Dix-huit euros.
- Heu…je vais prendre ça.
- Attendez. Nan. Erreur. J’en ai plus.
- Bah c’est pas grave, en fait j’ai plus très faim, je vais juste vous prendre un Coca.
- OK. Ça vous fera six euros.
- Mettez-moi plutôt une bouteille d’eau, en fait.
- OK. Ça vous fera six euros.
En retournant à mon siège, j’étais pas peu jouasse d’avoir économisé vingt euros sur mon repas.
Sur le chemin, j’ai eu envie de faire pipi, alors je suis allée dans les toilettes du wagon Première Classe Tégévé Pro, qui est le wagon où je voyageais et où même le caca ne sent pas mauvais.
Sauf que là, quand je suis entrée, les WC étaient un peu bouchés, tout le liquide chimique bleu débordait par terre et il y a avait du papier toilette collé sur les murs. Je suis ressortie et j’ai cherché le contrôleur, qui était justement en train de regarder le billet du sosie de Christian Bale.
Le contrôleur, il était très gentil et serviable, il m’a proposé son aide tout de suite, enfin juste après que je lui ai montré mon e-billet, mais comme son lecteur ne marchait pas, il m’a d’abord demandé de lui donner une impression papier de mon e-billet, et j’avais pas de version papier puisque le but du e-billet c’est de ne pas avoir de papier du tout, et là il s’est un peu fâché en disant que je lui facilitais quand même pas la tâche, et il a dû faire venir un autre contrôleur de l’autre bout du train, et l’autre contrôleur m’a aussi fait des gros yeux parce que son lecteur de cartes ne marchait pas non plus, et moi je me sentais de plus en plus coupable et j’avais de plus en plus envie de faire pipi mais j’osais pas le dire, vu que tout était quand même largement de ma faute.
A la fin, c’est le troisième contrôleur qui a réussi à lire mon e-billet sur sa machine, et le premier m’a finalement demandé quel était le problème avec les toilettes. Alors je lui ai raconté le coup du liquide bleu qui débordait partout, et il m’a dit qu’il allait tout de suite avertir le service technique, et j’étais bien contente, et puis il m’a dit qu’il devait vite envoyer le message au sujet des WC pour que l’équipe d’intervention soit prête quand on arriverait à Paris, vu que le service technique il était au troisième sous-sol de la gare Montparnasse.
Quand on est arrivés, on avait un tout petit retard de quarante-cinq minutes, et donc moi j’avais loupé ma correspondance. Comme il était plus de 22h, j’avais plus aucun train pour rentrer en Armorique et j’étais un peu embêtée, alors je suis allée voir des gens de la SNCF, parce que quand tu te retrouves en rade à cause d’un retard, eh bien la SNCF te paye un hôtel, et moi je savais, pour le coup de l’hôtel. A l’accueil, ils ont été très sympas et compréhensifs, ils se sont bien assuré que je comprenais que c’était carrément pas de leur faute s’il n’y avait aucun hôtel de disponible à Paris, ni à Sarcelles, ni même à Brie-Comte-Robert. Ils m’ont tout de suite donné un billet de train pour le lendemain, en Seconde Classe, et ils ont eu la gentillesse de ne pas me faire payer la différence avec le billet d’origine, qui était en Première. Après, ils m’ont expliqué qu’ils étaient en train de préparer une rame de Tégévé pour qu’on puisse dormir dedans, vu qu’on était un certain nombre à se retrouver coincés. Et c’est vrai que dans le hall de l’accueil, on était en fait assez nombreux. A un moment donné, on a entendu des cris, et quand je me suis retournée j’ai vu le sosie de Christian Bale qui était emporté par quatre vigiles très musclés qui essayaient de l’empêcher de crier des choses sales et sexuelles.
Quand on a fini par monter dans le Tégévé qui allait nous servir d’hôtel, j’avais un peu envie de pleurer, ou d’écraser un bébé hamster sous ma chaussure. Mais je me suis dit qu’il fallait rester calme, que c’étaient les aléas du voyage, que franchement il y avait des choses bien pires, comme le paludisme, la crise économique ou les tweets de Nadine Morano, toutes ces sortes de choses qu’on se raconte quand on va chez le proctologue, et qu’au moins, j’allais enfin pouvoir aller faire pipi.
Ce qui est quand même dommage, c’est qu’ils aient utilisé le train qui nous avait amenés comme dortoir de dépannage, et puis aussi que le Service Technique du troisième sous-sol n’ait pas eu le temps de venir déboucher les WC.
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