La mode Goth

Publié le 08 juin 2012 par Modissimo

Aux confins d’une tendance, à la frontière des limbes stylistiques, le look Goth est-il vraiment acceptable en tant que genre vestimentaire ? C’est ce que veulent nous faire comprendre les grands noms de l’élégance en ce bas monde. Oui, il est possible de sortir dans la rue, en dehors d’une période de Fashion-Week, habillé d’une chouette mise Dark sans se recevoir des gousses d’ails et des pieux en chêne dans le dos.


Pour ce faire, toute l’affaire est de doser habilement et avec circonspection le choix de chaque pièce. Réinventons le Goth pour obtenir quelque chose de portable, à mille lieues des mitaines en nylon et des baggies en polyuréthane clouté de gothique attardés.

Ensemble Yohji Yamamoto, à mi-chemin entre le Goth et le capitaine de navire : cheveux longs interdits

Un petit point culture avant d’aller plus loin, le look Goth est dérivé de cette subculture  contemporaine qu’est le gothisme. Croisé avec un soupçon de punk, et issu des pires scènes de métal de Grande-Bretagne, c’est un courant révolté qui puise son inspiration alternative dans la littérature britannique des XVIII et XIXe siècles ; des romances macabres et torturées dépeintes par Horace Walpole ou Washington Irving. Dorian Gray était un Goth.

Dans ce melting-pot d’inspirations et de senteurs, choisissons les références victoriennes comme un appel au classicisme dans les coupes, avec un pantalon en bas et une veste en haut. La « Haute Goth » d’Alexander McQueen ou de John Galliano illustre à merveille un drama très esthétique mais qu’il n’est pas de bon ton d’afficher entre couilles. Épure, donc.
On regarde du côté de chez Valentino pour admirer la rectitude géométrique des coupes, la simplicité toute spartiate d ’une silhouette du défilé  Automne-Hiver 2012, pour comprendre que le look Goth n’est pas une affaire de colifichets douteux et de dentelles déplacées.

Tenue parfaite chez Valentino, les gants rajoutent du swag bien à-propos

Yves Saint Laurent, qui ose le caban ample en velours satiné

Ici, l’antonymie est mère de toutes les vertus, un spleen baudelairien qui oscille entre laideur et beauté, sur le fil du mauvais goût et de la sophistication extrême, entre blanc et noir, ces oppositions conciliables se marient avec amour dans les silhouettes faustiennes de Lanvin ou de Dior Homme.
Sur la composition, à l’exemple de ces arrangements bien sentis, on privilégie les matières nobles. Draps de laine, cuirs nappa, cotonnades de qualité, parfois des mailles travaillées comme chez The Viridi-anne… Il le faut car le Goth est de ces looks qui sont sans concessions, qui, du fait de leur extrême edginess, ne tolèrent pas d’approximations sans catastrophe. De grâce, interdisez-vous les produits synthétiques et autres succédanés cheap.

Regard effrayé mais détails réussis chez Alexander McQueen

Concernant le cuir, il est une variable intangible dans l’équation, mais comme pour toutes les bonnes choses, il ne faut pas en abuser, le total-look est effrayant. Il se rapproche du look SM, avec un aspect malsain tendance cuir-moustache, cher à Peter Marino, mais qui est beaucoup trop inacceptable chez la gent masculine modérée que nous sommes. Nous nous intéresserons plutôt aux épaulettes en cuir, ou aux détails de tenues, comme le col, les empiècements du pantalon…

Lanvin

Dans les coupes, l’idée est d’opposer ample et étroit. Tout doit se définir en fittings et coupes taillées à la serpe. Ce qui revient le plus souvent reste le pantalon de flanelle noir un peu court à la Hedi Slimane, la veste étriquée – ou au contraire, ample et structurée – travaillée en bimatière de laine et cuir, et la chemise à col Mao ou petit col français, noire ou blanche. Sans oublier les grosses bottines qui vont bien, accessoire important s’il en est, puisqu’elles vont dessiner la jambe et permettre de dégorger un peu toute cette noirceur en rendant la silhouette plus aérienne et élancée. Rick Owens propose de superbes modèles dans sa boutique du Palais Royal. Attention, on prendra soin d’éviter le piège mortel du look : la jupette.
Énigme insoluble, qui même chez les créateurs émérites, vient apposer son bubon disgracieux sur les silhouettes de défilés. Freud pourrait-il venir à notre aide, est-ce un complexe d’Oedipe inavoué qui se transcende dans la dégénérescence du noir ? Cet abstrus rajout enlaidit et gâte toute une allure.

Une belle silhouette de chez Rick Owens, malheureusement gâchée par la jupette superfétatoire

Et pourtant, on retrouve la jupette sur beaucoup de catwalks inspirés par la thématique – quand ce n’est pas carrément la couverture de voyage noire, nonchalamment portée en épouvantail satanique. Ça n’est pas du tout stylé et ça fait peur aux personnes âgées.

On parle beaucoup de coupes, mais intéressons-nous à la silhouette à proprement parler. Ces dégaines sont bien trop particulières pour être portées par tout le monde. Pour un look total black comme ceux-là, il faut être grand et mince, avec les cheveux courts. Point. Sinon, inutile d’essayer. Vous n’avez pas non plus besoin de ressembler à un squelette albinos Lanvin, mais enfin… Dans le cas contraire, la probabilité est grande qu’on vous regarde dans la rue, non pas comme un fashionisto en mal d’émotions stylistiques, mais plutôt comme un adolescent contestataire qui veut cacher son mal-être derrière de sombres rideaux. En fait, soyez le plus loin possible du marginal dans vos attitudes et votre allure, afin de compenser la forte connotation vestimentaire.

Version un peu (beaucoup ?) extrême chez Gareth Pugh, mais avec un pantalon plus étroit, quelques boutons de dégrafés et un air moins psychopathique, that should do the trick

On préféra les coupes très structurées presque rigides ; un carcan de surfaces planes pour jouer sur le rendu des matières avec aise. En l’absence d’une quelconque couleur, ce sera un rare exutoire dans votre quête du style. Dior Homme a trouvé la bonne parade en optant pour ces étranges chapeaux inspirés d’un bréviaire champêtre. Ils viennent déconstruire intelligemment le stéréotype de la tenue pour aboutir à un ensemble agréable. Si vous ne connaissez pas, regardez donc ces personnages azimutés faire un bad trip dans le cauchemardesque court-métrage Dior Homme, réalisé par Willy Vanderperre : “The Wanderer“.
Autres solutions ? Ajoutez du blanc, sans faire pingouin. Avec une touche immaculée, vous êtes moins extrême dans vos positions, et c’est élégant. Vous pouvez pimenter votre ensemble par un beau sac en cuir, pas forcément noir. Petite précision inutile (?), quand on dit sac, on ne parle pas de sac à dos, bien sûr…
Sinon, parsemez-vous d’apparats chics d’apparatchik, comme chez Givenchy, qui agrémenta ses sombres costumes d’étoiles noires et autres nose-rings. Importable mais définitivement IN – tiens ça pourrait faire un bon résumé de l’article ?

Dior Homme

Givenchy et son nose-ring de Minotaure

La touche de blanc qui va bien chez Lanvin