Dans une atmosphère de faible mobilisation, les élections législatives vont avoir lieu les 10 et 17 juin 2012. Un
scrutin essentiel, tout autant que l’élection présidentielle, contrairement à ce qui se dit parfois, qui sera soit la confirmation soit au contraire la compensation du résultat du 6 mai
2012.
Un vrai régime parlementaire
L’existence même des trois précédentes cohabitations (1986-1988, 1993-1995 et 1997-2002) démontre pour les plus sceptiques que la Ve République est bel et bien un régime parlementaire puisque le pouvoir exécutif, celui qui est
opérationnel, celui qui est aux commandes des administrations de l’État, est bien dépendant de la majorité parlementaire et pas de la majorité présidentielle. Enfin, c’est ce que l’expérience a
montré depuis 1958. Rien n’interdit cependant d’innover…
Ce que certains peuvent contester en revanche, c’est que le pli présidentiel est suffisamment large pour que la mécanique électorale favorise, tant
dans les candidatures que dans les élections, l’émergence au Palais-Bourbon d’une majorité totalement conforme aux aspirations élyséennes. Et cela dès novembre 1962.
Je ne répéterai d’ailleurs jamais assez que la mise en place du quinquennat (approuvé par référendum le 24 septembre 2000) et la concordance présidentielle/législatives depuis 2002 (mais aussi en 1981 et en 1988) ont rendu les parlementaires bien
plus "dociles" aux "sollicitations" présidentielles.
Des sondages plutôt rassurants pour l’Élysée
Pour ce printemps 2012, les sondages restent relativement incertains sur l’issue des élections législatives. Si la mécanique présidentielle et la
logique institutionnelle jouent à l’évidence en faveur du Parti socialiste, les études d’opinion montrent que les deux grands partis restent au coude à coudre.
En effet, les intentions de vote pour l’UMP et pour le PS sont situées entre 30% et 35%, soit bien plus que leurs candidats respectifs à l’élection
présidentielle du 22 avril 2012, et avec souvent un écart de 1% ou 1,5% seulement, soit à peu près la même différence qu’au premier tour de l’élection présidentielle.
Alors que le Front de gauche et les écologistes sont déterminés à faire élire des candidats de gauche, à droite, le FN risque de troubler le jeu même si l’hypothèse de triangulaires ne concernera qu’un faible nombre de
circonscriptions (pour se maintenir au second tour, un candidat doit recueillir au moins 12,5% des électeurs inscrits, ce qui fait que pour une abstention de l’ordre de 40%, cas du 10 juin 2007,
il faut qu’il obtienne au moins 21% des suffrages exprimés, ce qui est un seuil élevé bien que pas insurmontable).
L’essentiel, pour ces élections législatives, n’est évidemment pas le pourcentage des suffrages mais le nombre de sièges et cette double
question : le PS arrivera-t-il à obtenir des électeurs une majorité à l’Assemblée Nationale ? et si oui, sera-t-elle absolue, seul, avec ses alliés écologistes remuants, avec le Front de gauche ?
Détenir tous les pouvoirs ?
Bénéficiant d’une popularité non négligeable de début de mandat (voir en particulier ce sondage),
François Hollande devrait avoir toutes les cartes en main pour appliquer (ou pas) son programme
présidentiel (téléchargeable ici).
Ce serait d’ailleurs une première historique en France que d’avoir la gauche, et plus particulièrement, le Parti socialiste, à la tête de toutes les
institutions de la République : Élysée, gouvernement, Assemblée Nationale, Sénat, quasi-totalité des
conseils régionaux et grande majorité des conseils généraux, des grandes villes et des regroupements de communes.
Au contraire de ce qu’évoque l’UMP pendant cette courte et inaudible campagne des législatives, cela ne me choque pas vraiment, pour au moins deux
raisons : d’une part, personne ne semblait vraiment choqué lorsque c’était la droite qui avait toutes les commandes ; d’autre part, c’est le jeu démocratique des alternances, et je ne
doute pas que 2014 sera une année cruciale pour le nouveau pouvoir et qu’il aura bien du mal à préserver ses conquêtes locales de ses années d’opposition.
Pas de nuages à gauche
Il est clair que François Hollande n’aura aucun souci du côté du Front de gauche : après lui avoir apporté son soutien inconditionnel au second
tour, Jean-Luc Mélenchon a clairement indiqué que "ses" députés ne voteraient jamais une motion de
censure en joignant leurs voix à celles de l’UMP. Le gouvernement socialiste peut donc compter sur la "bienveillante neutralité" de l’aile gauche de la prochaine législature pour continuer à
gouverner (quelles que soient les vociférations futures de l’ancien candidat soutenu par les communistes).
Donc, même si le PS ou l’alliance PS-EELV n’avait qu’une majorité relative, la gauche pourrait gouverner sans
trop de souci mais avec sans doute plus de discussions à gauche. Après tout, François Mitterrand était au
contraire très heureux de cette majorité relative sortie des urnes de juin 1988, et les fins connaisseurs savent bien qu’une majorité trop large peut engendrer beaucoup de contestations en son
sein (voir par exemple la législature entre 1993 et 1997) alors qu’une majorité très serrée la rend soudée et unie (comme entre 1986 et 1988).
Et si l’UMP gagnait quand même ?
Il serait cependant intéressant de nous arrêter à un cas, sûrement pas le plus probable, mais qui n’est pas,
non plus, à exclure : une victoire de l’UMP et de ses alliés aux élections législatives. Dire victoire signifie qu’il y aurait plus de députés UMP et alliés que de députés PS et alliés. Que
la majorité soit relative ou absolue.
Jusqu’à maintenant, depuis 1958, cette déconnexion des deux majorités s’est produite trois fois. En mars
1986, en mars 1993 et en juin 1997.
Dyslexie institutionnelle
Dans les deux premiers cas, une majorité de centre droit avait gagné face à un Président de gauche et dans le
troisième cas, c’était l’inverse, une majorité de gauche avait gagné face à un Président de droite. Dans les trois cas, inaugurés par François Mitterrand, un gouvernement de cohabitation a été
nommé, à savoir, un gouvernement émanant de la majorité parlementaire et cohabitant avec un Président de la République de bord opposé. C’est désolant, sur le principe, qu’un Président élu au
suffrage universel direct puisse ainsi être en stand-by, inerte, inactif, immobile, pendant une certaine période.
Trois cas ? En fait, il y en a eu quatre, de cas de cohabitation. Une cohabitation invisible, indolore.
La législature 1958-1962 n’était pas totalement aux ordres de De Gaulle. Au contraire, le 5 octobre 1962, ce
fut l’unique occasion où une majorité des députés a voté une motion de censure contre le gouvernement (pour protester contre l’institution de l’élection du Président de la République au suffrage universel direct). Et la résolution de cette crise fut purement
et simplement la dissolution de cette majorité contestataire. Depuis lors, aucune majorité n’a été réunie pour le vote d’une motion de censure, même lors des pires guerres intestines menées par
Jacques Chirac contre les gouvernements dirigés par Raymond Barre.
Une cohabitation longue
La dernière cohabitation n’a pas été comme les deux précédentes : alors que les deux premières
finissaient un septennat sur une durée relativement courte (deux ans), la cohabitation Jospin a duré… cinq
ans ! le temps d’une législature normale. Pourquoi le Président Chirac n’a-t-il pas cherché à dissoudre avant 2002 ? Personne ne saura répondre, si ce n’est par des considérations
purement électoralistes.
On cite d’ailleurs régulièrement ce petit mot d’humour : François Mitterrand a inventé le septennat de
cinq ans …tandis que Jacques Chirac a inventé le septennat de deux ans !
Le quinquennat, fausse solution
En fait, Jacques Chirac a même enterré le septennat. Le quinquennat a d’ailleurs été introduit en partie pour en finir définitivement avec les cohabitations, considérant que les électeurs ne voudraient pas se
dédire à un mois d’intervalle. Mais ce sont des considérations assez hasardeuses.
D’une part, rien n’indique que la concordance résistera au temps puisqu’elle est survenue par un simple
hasard des calendriers. Un Président pourrait écourter son mandat pour une raison ou une autre, démission ou décès, cela s’est déjà produit deux fois en cinquante ans, et un Président pourrait
également dissoudre l’Assemblée Nationale, cela s’est déjà produit cinq fois en cinquante ans, soit, en moyenne, une chance tous les sept ans de rompre avec le rythme régulier.
D’autre part, les électeurs, dans leur grand sagesse, pourrait un jour préférer au contraire équilibrer les
pouvoirs entre les deux grands partis.
Des gouvernements minoritaires, il y en a déjà eu…
Comme on peut le remarquer depuis le début de la Ve République, dans quatre cas, le gouvernement
ne bénéficiait pas de majorité à l’Assemblée Nationale : les gouvernements Pompidou I en octobre
1962, Mauroy I en mai 1981, Rocard I en mai 1988 et Ayrault I en mai 2012.
Pour les trois derniers, ce n’était pas très important puisque des élections législatives allaient se
dérouler quelques semaines plus tard (et les députés ne siégeaient plus en session). Quant au premier cas, il a abouti à une dissolution le 10 octobre 1962.
Les quatre Premiers Ministres concernés ont d’ailleurs été tous les quatre reconduits à Matignon une fois
élue une nouvelle majorité conforme à leurs vues. Les éventuels scrupules des constitutionnalistes (surtout en automne 1962) furent donc simplement balayés par la volonté populaire.
Qui serait à Matignon en cas de victoire de l’UMP aux législatives ?
Avec le recul des expériecences précédentes, on pourrait donc imaginer qu’en cas de victoire de l’UMP aux
élections législatives de juin 2012, une nouvelle cohabitation se déroulerait, au moins dans un premier temps. Avec un Premier Ministre UMP qui serait très probablement (quoi qu’on en dise)
Jean-François Copé (parce que François Fillon n’a plus aucune envie de faire du rab). Dans le même ordre d’idées, François Hollande lui aussi s’était imaginé comme un Premier Ministre potentiel en juin 2002 après
l’échec de Lionel Jospin et la réélection de Jacques Chirac.
Le précédent historique de 1986
Pourtant, dans les textes, rien n’oblige le Président de la République à désigner un Premier Ministre issu de
la majorité parlementaire. Rien. Absolument rien. Si c’est ce qu’il s’est passé pour les trois premières cohabitations, c’est parce que François Mitterrand avait pris cette décision historique et
que son successeur l’a suivi par la suite. Valéry Giscard d’Estaing avait indiqué qu’il aurait agi de la sorte le cas échéant (en cas de victoire de la gauche) en mars 1978, envisageant de nommer François Mitterrand à Matignon et de s’exiler au château de Rambouillet dans l’attente de jours meilleurs.
Mais un autre Président aurait pu prendre une autre décision. Par exemple, démissionner, considérant qu’il
n’avait plus le soutien du peuple (cela aurait été probablement le cas de De Gaulle même si ce n’était pas certain, en particulier en 1967).
Un nouveau précédent
Or, en 2012, une situation de cohabitation dans une double élection serait d’un nouveau type, une troisième
configuration : elle s’installerait en début de quinquennat. Cela voudrait dire que la légitimité du Président de la République serait aussi fraîche, donc aussi forte, que la légitimité de
la majorité parlementaire nouvelle.
Rien n’empêcherait donc le Président François Hollande de suivre la troisième possibilité qui s’était offerte
au Président François Mitterrand le soir du 16 mars 1986 : ni démission, ni nomination à Matignon du chef de la nouvelle majorité …mais plutôt, nomination d’un gouvernement minoritaire.
L’aspect présidentiel du régime serait alors accentué.
Oui, rien n’empêcherait finalement François Hollande de reconduire Jean-Marc Ayrault à Matignon, même sans majorité parlementaire, et que la cohabitation ne se
passe plus entre l’Élysée et Matignon mais plutôt entre Matignon et le Palais-Bourbon.
Politiquement difficile à défendre
J’imagine que cette situation (gouvernement minoritaire) serait politiquement difficile à tenir dans la
durée. Elle pourrait néanmoins être défendable avec des objectifs précis de résolution de la crise du surendettement de l’État (l’objectif du déficit 0% en 2017 est défendu autant par le PS que
par l’UMP et le MoDem).
Sous la IIIe République, elle n’a tenu que deux jours, entre le 8 et le 10 juin 1924. Alors que le
Président de la République Alexandre Millerand avait fait ouvertement campagne pour les candidats du Bloc national (droite), en particulier lors de son discours à Évreux le 14 octobwre 1923, ce
fut le bord opposé, le Cartel des gauches (radicaux et SFIO) qui, sous la direction d’Édouard Herriot, avait remporté les élections législatives des 11 et 25 mai 1924. Alexandre Millerand refusa
de s’incliner et nomma à la tête du gouvernement français le Ministre des Finances du gouvernement sortant (dirigé par Raymond Poincaré), Frédéric François-Marsal. Finalement, Alexandre Millerand
démissionna le 10 juin et Édouard Herriot fut nommé Président du Conseil le 15 juin 1924.
Des possibilités novatrices ?
La différence entre la Ve République et les précédentes, c’est que pour renverser le gouvernement,
il ne suffit plus d’avoir une majorité contre, il faut aussi pouvoir rassembler une majorité pour une autre solution. Cela explique comment les gouvernements Rocard, Cresson et Bérégovoy ont tenu
sans majorité absolue, ce qui aurait été impossible sous la III e ou la IV e
République.
Il y a aussi quelques outils utiles pour imposer le point de vue gouvernemental à une assemblée assez peu
disposée à l’égard du pouvoir exécutif, comme l’article 49-3 (quoique son utilisation a été strictement limitée par la réforme constitutionnelle du 23 juillet 2008).
Séparation des pouvoirs ou présidentialisation ?
Cette hypothèse d’un gouvernement minoritaire, que je ne souhaite pas, serait le meilleur moyen de renforcer
la séparation des pouvoirs (exécutif et législatif) et surtout, un pas supplémentaire d’un processus
d’américanisation des institutions qui a déjà commencé, à partir d’une forte bipolarisation du paysage
politique, de l’institution du quinquennat, de la concordance entre les élection présidentielle et
législatives, par la réforme du 23 juillet 2008 qui donne plus de pouvoir au Parlement, et enfin, par la nomination d’un seul Premier Ministre au cours du mandat présidentiel précédent.
Et qui peut aujourd’hui affirmer que, libérés du joug sarkozyste, quelques députés de centre droit, radicaux ou centristes, alliés traditionnels de l’UMP, ne verraient pas d’un bon œil l’utilité d’une (toujours) "bienveillante neutralité" pour éviter à tout prix une
cohabitation qui handicaperait le pays en pleine tourmente financière ?
Aussi sur le
blog.
Sylvain Rakotoarison (8 juin
2012)
http://www.rakotoarison.eu
Pour aller plus loin :
Le quinquennat.
L’élection
présidentielle.
François Hollande.
Jean-François Copé.
Gouvernement Ayrault
I.
Programme du candidat Hollande (à
télécharger).
Sondage encourageant pour le nouveau pouvoir (à
télécharger).
http://www.agoravox.fr/actualites/politique/article/legislatives-2012-vers-la-118136