Sa féminité était toujours là même si ces sorties pour le paraître étaient plus rares. Les escaliers n’avaient plus le même charme dans ce petit immeuble sans ascenseur. Elle avait fait tourner les têtes de ses amis, de ses amants puis de son mari. Il y a quelques années encore, il aimait rester derrière elle pour apercevoir ses jolies jambes, elle lui avait fait remarquer qu’elles perdaient de leur beauté, des plis, des vergetures. Avec humour, férocité pour lui et pour elle, il lui avait fait aussi la remarque que sa vue donnait un flou qui lissait ces détails, et que ses souvenirs lui donnaient toujours des gambettes de princesse. Une complicité qui lui manquait quand elle rentrait avec ses petites courses.
Elle croisait les autres femmes de l’immeuble, des jeunes filles, en pantalon, en jean, plus rarement en jupe, sauf celle du 3e, toujours habillée en noir, avec des grosses chaussures de chantier. Sa petite fille lui avait expliqué ce style, gothique, l’inspiration d’un monde de chaos et de romantisme mêlés. Elle avait précisé que ces belles en dentelle noire, ne portait aucun deuil, mais plutôt des bas résilles ou des bas coutures, comme un défi à des pinups au glamour sombre. Il y avait aussi cette jeune fille, cette brindille blonde, au sourire discret, si gentille, si discrète dont elle connaissait la maman. Cette jeune femme maintenant préparait studieusement de belles études, dans le secteur de la santé, elle ne se souvenait plus. Le voyage assis dans ce fauteuil crapaud se confortait des odeurs typiques de lieux de vie des personnes âgées. Un peu de poussière, des murs avec des papiers peints anciens, des meubles en bois patinés à la bonne odeur de cire d’abeille.. La bergamote du thé, l’odeur des gâteaux conservés dans une boîte en métal, ancestral témoignage des publicités d’antan, carrément vintage. Elle continuait avec malice les étages et les femmes de son immeuble, car en parallèle, elle retrouvait un peu de chaque période de sa vie, des âges différents qui avaient été un jour le sien, vingt ans, quarante ans, soixante ans, quatre-vingt ans.
Elle avait toujours porté avec fierté sa féminité, car elle aimait cela, elle voulait assumer sa personne, son sexe féminin dans un monde cloisonné par les hommes. Le XXe siècle si proche avait été marqué par les évolutions d’une vie française au gré des guerres, des femmes remplaçant les hommes à toutes les tâches, retournant à la cuisine pour les servir ensuite. Elle était belle, avec un joli minois comme l’époque le décrivait de ses mots. Elle avait eu la chance de porter avec elle cette grâce, cette magie qui faisait des robes coupées par sa grand-mère, des merveilles sur une corps de modèle dans la rue. Elle avait attiré les regards, attisé les envies et les ragots des commères, des jalouses coincées dans un statut de mère de famille, de femme au foyer. Et c’est d’ailleurs pour cela qu’elle avait travaillé tôt, pour avoir une liberté, premiers pas vers sa féminité.
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