Ici Brest, les Bretons parlent aux Lorrains ! Entendre l’abominable Zemmour débiter des âneries phallocrates et xénophobes au kilomètre n’est plus fait pour m’étonner ; je ne suis pas non plus étonné de le voir jouer les petits m’as-tu-vu-comme-je-suis-victime-d’une-intolérable-atteinte-à-la-liberté-d’expression à la suite du procès qu’il se mange à cause de ses propos sur Taubira : c’est pour ainsi dire le fonds de commerce des « nouveaux réacs » d’essayer de brouiller les pistes en faisant passer pour un usage légitime de la liberté un discours qui prône la privation de liberté pour un certain nombre de personnes en raison de leur origine ethnique, de leurs convictions religieuses, de leurs sensibilités amoureuses ou, tout simplement, de leur sexe. M’étonnent et m’inquiètent davantage, en revanche, ces personnes modérées et éclairées qui tombent dans le panneau et défendent Zemmour au nom du principe d’une absolue liberté d’expression. A priori, pourquoi pas ? Après tout, Louise Michel elle-même considérait, contrairement à beaucoup d’autres communards, que les journaux réactionnaires devaient eux aussi avoir le droit de paraître, justement parce que la révolution ne pouvait pas se permettre de commettre ce qu’elle reprochait à l’ordre qu’elle tentait de renverser. A priori, défendre Zemmour au motif qu’il est un « trublion » semble donc légitime. Sauf que…
Qu’a-t-il dit au juste pour être à nouveau traîné devant les tribunaux ? Il s’en est pris à Christiane Taubira. Ah, Taubira ! Je comprends que Jean-Marc Ayrault l’ait préférée à Eva Joly pour le ministère de la justice : nommer une femme honnête qui n’est pas originaire de France métropolitaine, c’est déjà courageux, mais si, en plus, elle est noire, alors là ! Le premier ministre a littéralement servi une cible sur un plateau d’argent à la droite ! Pas étonnant que Zemmour, telle une mouche qui verrait une tartine de miel de nature à la changer des bouses qu’elle a l’habitude de manger, ait littéralement foncé dessus ! Il a donc attaqué la garde des sceaux qui prône la suppression du tribunal correctionnel pour mineurs, créé en août 2011 par la droite décomplexée pour aider les gros cons à se croire davantage en sécurité : selon Zemmour, donc, Taubira défendrait des jeunes qui « volent, trafiquent, torturent, menacent, rackettent, violentent, tuent » ; bon, jusqu’ici, à la rigueur, ça peut aller. Sur le fond, ça a l’air de juger que la délinquance des mineurs se résume à ces faits sordides, ce qui serait évidemment trop simple, et de plus, en mettant sur le même plan la torture et le racket, Zemmour mélange un peu les serviettes et les torchons : entre voler un portefeuille et arracher des couilles, il y a quand même une sacrée différence de degré en matière de gravité. De plus, si c’est comme ça qu’il espère défendre l’idée suivant laquelle il faut renoncer à une justice spécifique pour les mineurs, il s’y prend mal : en quoi le fait de commettre un délit, aussi grave soit-il, est-il un signe de maturité ? Bref, il énonce des contre-vérités, mais jusqu’ici, rien de judiciairement condamnable.
La suite est déjà beaucoup moins défendable : Zemmour accuse Christiane Taubira de penser que « ces pauvres enfants sont les victimes d’une société qui les rejette par xénophobie et racisme » ; là, c’est clair, pour Zemmour, défendre des mineurs délinquants, c’est FORCÉMENT défendre des jeunes issus de l’immigration. L’équation est toute trouvée : mineur délinquant égale jeune issu de l’immigration, donc jeune issu de l’immigration égale délinquant. Autant ses propos sur les trafiquants qui seraient, selon lui, essentiellement noirs ou arabes, ce qui expliquerait les contrôles au faciès, peuvent être simplement taxés d’ambiguïté quand on les sort de leur contexte, autant là, il n’y a pas d’ambiguïté possible ! Dire, même implicitement que les délinquants mineurs sont nécessairement issus de l’immigration, c’est évidemment dire n’importe quoi, et surtout, la nature xénophobe d’un tel rapprochement ne peut échapper à personne. Comment ça, je fais mon ayatollah du politiquement correct ? Qu’on arrête un peu avec ça ! Je ne vois vraiment pas en quoi le fait qu’il faille désormais y réfléchir à deux fois avant de tenir des propos susceptibles de stigmatiser toute une frange de la société est une mauvaise chose !
Et ça ne s’arrête pas là : critiquant aussi la décision de Taubira de créer une nouvelle loi contre le harcèlement sexuel pour remplacer celle que le conseil constitutionnel a abrogée récemment (bravo, les « sages » !), Zemmour affirme qu’elle « a choisi ses victimes, ses bourreaux. Les femmes, les jeunes des banlieues sont dans le bon camp à protéger. Les hommes blancs dans le mauvais. » En clair, selon Zemmour, défendre les droits des femmes, c’est attaquer TOUS les hommes et défendre les droits des immigrés c’est attaquer TOUS les blancs. Entre parenthèse, notez au passage qu’il sous-entend que tous les jeunes des banlieues sont issus de l’immigration, ce qui est d’autant plus débile que les intentions de Taubira sur la justice des mineurs ne peuvent pas être favorables QUE aux mineurs des cités et QUE aux mineurs « blacks » ou « beurs ». Refermons la parenthèse et résumons ce que sous-entend Zemmour : défendre les droits des uns, c’est bafouer ceux des autres, il ne peut y avoir que les uns OU les autres qui peuvent légitimement revendiquer ces droits : nous sommes donc en guerre les uns contre les autres, défendre les droits des femmes revient à bafouer les droits des hommes qui doivent donc avoir le droit de considérer les représentantes du beau sexe comme des paillasses à foutre ; de même, défendre les droits des immigrés revient à bafouer les droits des blancs qui doivent donc avoir le droit de considérer les noirs et les arabes comme des intrus. La liberté, selon Zemmour, n’est pas partageable et doit permettre de refuser cette liberté à toute une partie de la société. Charmant, non ?
Nous avons ici affaire, en fait, à une tactique très prisée chez les Ménard, Collard et autres connards dont Zemmour n’est pas la moindre des têtes de gondoles : dès qu’une personne noire ou arabe a le malheur de revendiquer ses droits quand ceux-ci sont bafoués, on l’accuse de racisme anti-blanc ! Zemmour va même plus loin en assimilant la défense des droits des femmes à du sexisme anti-mec ; il se prend pour un secoueur d’idées reçues, il n’est jamais que le porte-parole d’un pan revanchard de la société composé de mâles occidentaux, blancs, hétérosexuels, adultes, catholiques et de droite qui ne se sont jamais remis de découvrir qu’il n’étaient pas nécessairement les maîtres incontestés de la planète et que les « bonnes femmes », les « bamboulas », les « bicots », les « pédés », les « salauds de jeunes », les « cocos », les « youpins » et autres rastaquouères étaient aux aussi des êtres humains à part entière capables de revendiquer leurs droits et de les défendre. On peut défendre la provocation, mais si c’est pour permettre d’affirmer que toute une partie de la France n’a pas droit à la parole, non merci.
Signalons enfin qu’il a également dit que « dans les banlieues, Hollande a obtenu des scores de dictateur africain ». Imaginez quoi moi, homme de gauche, je me sois permis d’en dire autant des scores de Sarkozy dans les ghettos de riches tels que Neuilly ou Levallois-Perret : toute la droite me serait probablement tombée dessus en m’accusant de remettre en cause la validité démocratique du scrutin ! Ce serait donc permis à Zemmour et interdit à moi ? Pas d’accord ! Second degré ? Rien, ni dans le style de Zemmour ni dans la nature des supports où il se produit ne permet d’y voir un nanogramme d’ironie. Et puis pourquoi « africain » ? L’Afrique a le monopole des dictateurs qui organisent des élections truquées pour se donner des airs de démocrates ? C’est nouveau ça ! Saddam Hussein n’était pas africain, que je sache, Vladimir Poutine ne l’est pas non plus ! Enfin, c’est quasiment un détail en comparaison de ce qu’il reproche à Taubira : certains de ses défenseurs parlent de « crime de lèse-Taubira », c’est en fait un « crime de lèse-liberté » voire de « lèse-humanité » ! Non, ce n’est pas un trublion, c’est juste un haineux qui profite de toutes les occasions qui lui sont offertes pour déverser sa bile sur la moitié de l’humanité. Le fait qu’il soit défendu par Marine Le Pen ne peut pas plaider en sa faveur. Bref, s’il est condamné, la justice française reconnaîtra officiellement que la dénonciation de cette chimère que l’on appelle le « racisme anti-blanc » voire le « racisme anti-français » constitue bel et bien une attaque raciste et on ne pourra que voir la vérité toute nue concernant la stratégie de ces « nouveaux réacs » pour brouiller les pistes et banaliser la xénophobie la plus arriérée qui soit. Alors peut-être le licenciement de Zemmour de RTL sera-t-il le début de la fin pour une parenthèse merdique de l’histoire de la République… Allez, salut les poteaux !