1er acte : le fol espoir
Ce sont les juridictions du fond qui ont ouvert le feu. Saisis par les salariés et/ou les comités d’entreprises dont la fermeture de certains sites était programmée, les magistrats des différents TGI et Cours d’appel intéressés (TGI de Nanterre, Troyes ou Bobigny, Cour d’appel de Paris ou de Reims) devaient trancher une question a priori technique mais aux conséquences financières considérables : l’absence de cause réelle et sérieuse de licenciement, constatée à l’occasion de la contestation de la procédure d’élaboration du plan de sauvegarde de l’emploi (PSE), engendre-t-elle la nullité des licenciements eux-mêmes et, par voie de conséquence, la réintégration des salariés licenciés ?
A cette interrogation, plusieurs décisions répondent par l’affirmative au motif, à première vue logique, que si l’insuffisance du PSE justifie la nullité des licenciements prononcés, il doit, a fortiori, en être de même lorsque la procédure de licenciement est engagée sans qu’une cause réelle et sérieuse de licenciement ne soit constatée. Les fondements juridiques de ces décisions (« illégalité qui rend la procédure de licenciement sans objet », « défaut de cause rendant sans objet la procédure de consultation des représentants du personnel », « détournement de la procédure voire fraude » …) sont presque accessoires tant prime, à l’évidence, la volonté des juges de s’ériger en derniers défenseurs de l’emploi comme le rappelait, le 27 mars dernier, dans le cadre des Ateliers de la convergence dont la CCIP est partenaire, le Professeur Favennec-Héry. Pourtant, comme le souligne la Chambre sociale de la Cour de cassation, les bons sentiments n’ont pas force de loi et la logique juridique aime à contrarier le bon sens populaire.
2ème acte : la douche froide
C’est à l’occasion de l’affaire Vivéo, la plus retentissante d’entre toutes, que les juges du quai de l’horloge ont été conduits à se prononcer. Il ne faisait pas de doute dans notre esprit, et dans celui de nombreux commentateurs, que cette jurisprudence ne pouvait perdurer.
Le Code du travail distingue clairement, en effet, les sanctions du licenciement économique « illicite » selon la défaillance reprochée à l’employeur. En l’absence de cause réelle et sérieuse économique, la sanction du licenciement injustifié est strictement indemnitaire, avec un montant plancher de 6 mois de salaire lorsque le salarié a plus de deux ans d’ancienneté dans une entreprise de 11 salariés et plus (articles L. 1235-3 et L. 1235-5 du Code du travail) ; en l’absence ou en cas d’insuffisance du plan de sauvegarde de l’emploi, le juge prononce la nullité de la procédure et de tous les actes subséquents, dont les licenciements. Le salarié doit alors être réintégré s’il en fait la demande (avec rappel de salaire pour la période courant depuis le licenciement) ou, si la réintégration est matériellement impossible, bénéficier d’une indemnité avec un montant plancher de 12 mois de salaire s’il a plus de deux ans d’ancienneté dans une entreprise de 11 salariés et plus (articles L. 1235-11 et L. 1235-14 du Code du travail).
Cette simple dichotomie devait suffire à sanctionner les décisions des juridictions du fond. Plus encore, différentes règles juridiques des plus élémentaires plaidaient dans le même sens, notamment le principe fondamental du droit civil selon lequel il n’y a pas de nullité sans texte ou encore la jurisprudence constante de la Cour de cassation selon laquelle le juge ne peut annuler un licenciement que si la loi le prévoit expressément ou en cas de violation d’une liberté fondamentale.
Ces arguments ont convaincu la Chambre sociale de la Cour de cassation qui, dans son arrêt du 3 mai 2012, rend une sentence sans appel : « en vertu de l’article L. 1235-10 du Code du travail, seule l’absence ou l’insuffisance du plan de sauvegarde de l’emploi soumis aux représentants du personnel entraîne la nullité de la procédure de licenciement pour motif économique ; […] la procédure de licenciement ne peut être annulée en considération de la cause économique de licenciement, la validité du plan étant indépendante de la cause du licenciement ». Les défendeurs patronaux n’en demandait pas tant et leurs adversaires, nombreux (organisations syndicales de salariés ou de magistrats, certains universitaires entre autres), en sont pour leurs frais. A moins que …
3ème acte : le chant de partisans
L’appel à la résistance a été lancé depuis les marches du palais, l’avocat des salariés de Vivéo, Me Philippe Brun, estimant que le combat judiciaire devait se poursuivre désormais sur le terrain d’une nullité fondée sur l’inexistence de motif économique.
Le premier à répondre à cette invitation a été le TGI de Créteil qui par un jugement du 22 mai 2012 décide qu’en l’absence de motif économique, la procédure est « dépourvue de cause » et constitue « un détournement du texte, une fraude à la loi » qui « vicie l’intégralité de la procédure et des actes qui en dépendent ». Une fois encore, le raisonnement ne tient pas. Si l’on peut admettre que la cause avancée par l’employeur pour engager la procédure de licenciement ne correspond pas aux exigences du Code du travail et de la jurisprudence sociale, il n’en reste pas moins qu’elle existe. Seule la sanction indemnitaire est alors encourue.
Quel épilogue ?
Plusieurs scenarii sont désormais envisageables. Celui d’un revirement immédiat de jurisprudence est inenvisageable. Le plus probable est que la Cour de cassation martèle sa doctrine quitte, d’ailleurs, à la préciser. Certains retiennent, en effet, qu’en se fondant sur le seul article L. 1235-10 du Code du travail (nullité du PSE insuffisant) pour casser l’arrêt de la Cour d’appel de Paris, la Chambre sociale reconnait implicitement la compétence du TGI pour contrôler le motif économique. A méditer… Va-t-elle prendre le risque de voir, dans une même affaire, le motif économique apprécié différemment selon la juridiction, TGI ou Conseil des prud’hommes, saisie ? Souhaitons que non !
Une autre voie serait que le Gouvernement et le Parlement mettent fin à cette guérilla judiciaire. Il n’est alors pas certain que le texte adopté aille dans le sens de l’arrêt Vivéo. Déjà le Ministre du redressement productif annonce la préparation d’un projet de loi instaurant des mécanismes permettant « la vente par voie judiciaire à un repreneur au prix du marché, sans spoliation, des sites rentables à marge insuffisantes abandonnés par leur propriétaire ». Au-delà, une réforme du droit du licenciement économique est annoncée pour l’automne. Autant de signes qui prouvent que le débat juridique et idéologique n’est pas prêt de s’éteindre au détriment, malheureusement, du débat économique pourtant essentiel de la compétitivité des entreprises françaises et de l’attractivité de notre territoire. C’est en tous cas sous cet angle et celui de la modernisation de notre marché du travail que la CCIP s’engagera dans les prochaines semaines.