Une plage de la commune de Plestin-les-Grèves en été.© CNRS Photothèque / COAT Gwenaële
Alors que la période de prolifération des algues vertes est déjà bien entamée, un rapport commandé par le gouvernement de François Fillon désigne sans ambiguïté le modèle agricole dominant comme étant à l'origine du phénomène des « marées vertes », un modèle agricole qui sera d'ailleurs l'un des enjeux des législatives.
Sylvain Ballu, responsable du suivi des marées vertes sur la côte bretonne au Centre d’Etude et de Valorisation des Algues (CEVA), répond aux questions de notre partenaire Bretagne Durable. Il revient, notamment, sur le "retard" de la prolifération de cette année…
A quoi est dû le phénomène des « marées vertes » qui touche les plages bretonnes à la belle saison ? Le phénomène des marées vertes est dû à des arrivées excessives de nutriments dans des lieux spécifiques, ainsi qu'à une configuration favorable. Les deux nutriments principaux permettant le phénomène sont l’azote et le phosphore. Des conditions littorales particulières sont requises : une plage avec un fond plat, peu profonde et une eau claire. Il faut aussi des conditions saisonnières favorables : à partir des mois d’avril-mai, il fait plutôt beau temps, il y a plus de lumière et une température de l’eau plus élevée. Ce qui explique qu’on voit peu de prolifération d’algues vertes en hiver. Suite aux observations du Centre d'étude et de valorisation des algues (Ceva), cet été, doit-on s’attendre à une forte prolifération d’algues vertes sur les plages bretonnes ? Au printemps, plus il y a de stock d’algues issues de l’année précédente, plus il y aura de risque de marées vertes. Car cette « biomasse » est composée de nombreuses cellules qui captent le nitrate. En général, plus un hiver est agité, plus le stock d’algues de l’année précédente va être dispersé par les tempêtes et les mouvements de la mer. Cette année, nous avons eu un hiver très calme, avec peu de précipitations. Au début du mois de mars, les cours d’eau étaient très bas. Mais le mois d’avril a été particulièrement pluvieux. Ce qui apporte beaucoup de nutriments jusqu’à la mer. Cependant, la mer ayant été agitée, les débris d’algues présents sur les lieux de croissance ont été éloignés au large. De plus, lorsque le temps est couvert, il y a moins de lumière, l’eau se réchauffe moins rapidement, ce qui limite la prolifération. La météo freine ainsi la prolifération, du moins, pour le moment... En somme, au mois de mai, nous avons observé un retard régional de la prolifération des algues vertes: comme en baie de Saint-Brieuc, il n’y a presque pas d’algues et en baie de Douarnenez la prolifération a été bien freinée. En revanche, dans la baie de Saint-Michel-en-Grève, le site restebien fourni, mais cela s'avère habituel. Cependant, avec l’augmentation de la température et si le débit des cours d’eau reste élevé, on peut s’attendre à une forte prolifération dans les semaines qui viennent. Surtout là où il y a encore des stocks d’algues. Quel est le lien entre cette prolifération des algues vertes et l’agriculture ? Une grande partie de l’apport en phosphore est naturellement présent depuis longtemps et en masse dans les sédiments. L’azote est apporté par les courts d’eau. Force est de constater qu’il est, de 90 à 98 % d’origine agricole. C’est l’intensification de l’agriculture depuis les années 1960 qui génère ces flux importants. Cette activité utilise en quantité importante des engrais d'origine animale ou minérale. Ces derniers libèrent beaucoup d’azote. De surcroît, une agriculture intensive remue beaucoup les parcelles, ce qui a tendance à libèrer du nitrate dans le sol. Comment peut-on arriver à limiter la prolifération des algues vertes ? Dans la plupart des secteurs, c’est l’azote qui est en position de limitation. Le « levier » phosphore n’est pas efficace car il est depuis longtemps naturellement et massivement présent dans les sédiments. C’est donc en limitant l’apport d’azote que l’on peut enrayer le phénomène. Avec les nouvelles pratiques et la mise en place des plans algues vertes, on observe que la concentration régionale a baissé. Mais dans des proportions somme toute encore assez faible. Aussi, nous pensons que dans les baies les plus sensibles, il faudra descendre autour de 10 mg de nitrate par litre pour être efficace. Ce qui est un taux difficile à atteindre. Reconnaissons tout de même que les pratiques changent et que nous allons dans le bon sens. Notons que si la concentration baisse dans les cours d’eau, celle-ci reste marquée par les pratiques historiques. Et que le temps de réaction d’un bassin versant dépend de la proximité des parcelles avec les nappes phréatiques. Parfois, pour une parcelle située sur les plateaux, il faut qu’une goutte d’eau traverse 20 mètres de limon pour atteindre la nappe. Avant de ressentir le plein effet des actions menées aujourd’hui, il va donc falloir attendre encore pas mal d’années. Un article réalisé par François Delotte pour notre partenaire Bretagne Durable, www.bretagne-durable.info