No escape. Si les albums électro-pop de Chromatics sont si passionnants, c’est qu’ils ne se contentent pas d’aligner les titres qui tuent. Sans suivre un fil narratif précis, ils nous racontent des histoires, nous emmènent en voyage. Night Drive, leur précédent essai, privilégiait la route, la nuit, la fête, la violence. Kill For Love, lui, suit la voie de l’incandescence, des fantômes, de l’amour qui se consumme doucement au soleil. Rien de bien joyeux, avouons-le. D’ailleurs, le parti pris le plus bouleversant est sans doute ici la manière dont la désolation et la tristesse prennent progressivement le pas au fil des dix-sept morceaux. Comme si la sensualité vénéneuse des premiers titres n’était aussi qu’un leurre que le temps devait balayer. Comme le reste. Pour finir sur de plus en plus d’instrumentaux et les sonorités sourdes, presque éteintes du dernier morceau « No escape ».
Cette histoire, la bande de Johnny Jewel, l’intègre dans une autre, beaucoup plus grande. Celle de la musique. Kill for Love s’ouvre avec le titre « Into the Black », une reprise du dernier morceau de l’album Rust Never Sleeps de Neil Young, sorti en 1979. Manière de s’imposer dans la cour des grands des songwriters. De s’échapper de la seule chappelle électronique pour embrasser une pop au sens très large mêlant guitares, machines et cordes. Et de poser l’imagerie qui travaillera tout l’album : le feu, la mort… Surtout, le morceau est une réussite absolue, préservant l’émotion de l’original tout en y ajoutant d’entêtantes rythmiques. On ira danser sur vos cendres.
La suite est au niveau, à commencer par l’enjoué « Kill for Love » à l’énergie romantique toute communautive derrière son voile de noirceur (« I was waiting for change while the world just stayed the same ») et son final qui prend la forme d’une rêverie macabre (« I put a pillow right on top of my head/I killed for love »). « Burn », « flame », « light », « fire »… Les hymnes amoureux s’enchaînent ressassant les mêmes mots, les mêmes motifs sur des rythmes tantôt rapides et sexy (« Back from the grave », « The Page »…) tantôt lents et langoureux (« Lady », « Candy »…). Avec à chaque fois, la même évidence mélodique. Les ritournelles de Chromatics, toute en simplicité, nous restent coincées dans la tête (« Birds of Paradise », « At Your door »…). L’histoire d’amour, elle, s’efface peu à peu jusqu’à la mort, le ciel et les larmes. Ne laissant que la musique, immense, en lointain écho.
KidB
Into the black
The Lady
Birds of Paradise