Décès de Ray Bradbury. Extrait de son recueil: "Chroniques martiennes"

Par Mango
M. Bradbury est mort paisiblement, hier soir (05/06/2012) à Los Angeles, des suites d'une longue maladie.  (un porte-parole de la maison HarperCollins.) 
Né en  1920,  à Waukegan, dans l'Illinois, il avait 91 ans. Malgré l'attaque cérébrale dont il avait été victime à l'automne 1999, il avait continué à publier. A la question d'un journaliste : "Avez-vous peur de mourir?"  il avait répondu:  
On a tous peur de la mort. C'est la raison pour laquelle j'essaie de terminer mon travail. Depuis mon attaque, qui a failli me tuer, j'ai écrit quatre livres. Voilà la réponse! Si vous restez sans rien faire, vous mourez. A l'hôpital, après mon attaque, je ne pouvais plus bouger le côté droit de mon corps. Ni le bras ni la jambe. Je pouvais à peine parler. Mais j'ai tout de même appelé ma fille et je lui ai dit: «Apporte-moi le roman sur lequel je suis en train de travailler.» Et je me suis remis au travail sur De la poussière à la chair, allongé sur le dos, en dictant les phrases des différents chapitres à ma fille au téléphone. Je n'allais certainement pas laisser la mort m'emporter avec elle!
Il avait aussi déclaré: 
J'ai toujours possédé un inextinguible enthousiasme pour la vie. J'écris pour célébrer la vie. Cela n'a jamais changé en soixante ans. J'ai beaucoup de chance.
Des deux livres que je connais de lui:  Fahrenheit 451 et Chroniques martiennes , c'est ce dernier que j'ai toujours préféré parce qu'il n'est pas seulement à base de science fiction et de fantastique mais aussi parce que j'y trouve beaucoup de poésie.  J'ai choisi la rencontre d'un martien isolé et d'un terrien avant que la guerre sur terre ne fasse rentrer sur leur vieille planète tous les terriens de Mars
Août 2033 - Rencontre nocturne
Il y avait dans l’air comme un odeur de Temps. Il sourit et retourna  cette drôle d’idée dans sa tête. Il y avait  là quelque chose à creuser. A quoi pouvait bien ressembler l’odeur du Temps? A celle de la poussière, des horloges et des gens. Et si on se demandait quel sorte de bruit faisait le Temps, ce ne pouvait qu’être celui de l’eau ruisselant dans une grotte obscure, des pleurs, de la terre tombant sur des couvercles de boîtes aux échos caverneux, de la pluie. Et en allant plus loin, quel aspect présentait le Temps?
 Je m’appelle Tomas Gomez.
- Je m’appelle Muhe Ca. ”
Ni l’un ni l’autre ne comprit, mais ils avaient accompagné leurs paroles d’une petite tape sur leur poitrine et tout devint clair.Alors le Martien éclata de rire. “Attendez!” Tomas eut l’impression qu’on lui touchait la tête, mais nulle main ne l’avait touché. “Là! dit le Martien dans la langue de Tomas. C’est mieux comme ça!- Avec quelle vitesse vous avez appris ma langue!- Un jeu d’enfant!”Gênés par un nouveau silence, ils regardèrent le café qui n’avait pas quitté la main de Tomas.“Nouveau?” dit le martien en lorgnant Tomas et le café – et en se référant peut-être aux deux.“Puis-je vous offrir quelque chose à boire? proposa Tomas.- Volontiers.”Le Martien glissa à bas de sa machine.Une deuxième tasse fut produite et remplie de café fumant. Tomas la tendit.Leurs mains se rencontrèrent et – comme de la brume – se traversèrent.“Bon sang!” s’écria Tomas. Et il lâcha la tasse.“Par tous les dieux! s’exclama le Martien dans sa propre langue.- Vous avez vu ça? ” murmurèrent-ils ensemble.Ils étaient soudain glacés de terreur.Le martien se baissa pour toucher la tasse mais n’y parvint pas.“Sapristi! fit Tomas.- C’est le mot.” Le Martien essaya encore et encore de saisir la tasse. Peine perdue. Il se redressa, réfléchit un moment, puis tira un couteau de sa ceinture.“Hé là!” cria Tomas.- Vous vous méprenez, attrapez!” Et le Martien lui lança le couteau. Tomas mit ses mains en coupe. Le couteau tomba à travers la chair et heurta le sol. Tomas se baissa pour le ramasser, mais il ne parvint pas à le toucher. Il recula, parcouru de frissons.Il regarda alors le Martien qui se découpait sur le ciel.“Les étoiles! dit-il.- Les étoiles!” dit le Martien en regardant Tomas à son tour.Les étoiles étaient visibles, nettes et blanches, à travers la chair du Martien, dans laquelle elles semblaient cousues telles des paillettes en suspension dans la fine membrane phosphorescente de quelque créature marine gélatineuse. On les voyait scintiller comme des yeux violets dans le ventre et la poitrine du Martien et comme des bijoux à travers ses poignets.“Je vois à travers vous!  dit Tomas.- Et moi à travers vous!” dit le Martien en reculant d’un pas.Tomas tâta son propre corps et, percevant sa chaleur, se sentit rassuré. Je suis bien réel, se dit-il.Le Martien se toucha le nez et les lèvres. “Je sens ma chair, dit-il presque à haute voix. Je suis vivant.”Tomas regarda fixement l’étranger. “Et si je suis réel, c’est que vous devez être mort.- Non, vous!- Un spectre!- Un fantôme!”Ils se désignèrent mutuellement du doigt, la lumière des étoiles constellant leurs membres comme autant de dagues, de glaçons et de lucioles. Puis ils se remirent à examiner leur corps, et chacun de se trouver intact, brûlant, en émoi, stupéfait, intimidé, alors que l’autre – ah oui, cet autre, là – était dépourvu de réalité, ne pouvait être qu’un prisme fantomatique réfléchissant la lumière accumulée de mondes lointains.Je suis ivre, se dit Tomas. Ne surtout pas parler de tout ça à quelqu’un demain, oh, non!  
Chroniques martiennes conte l'histoire des premiers colons terriens vers la planète Mars. La très ancienne civilisation martienne, sur le déclin, finit par disparaître devant l'arrivée de plus en plus massive des hommes de la Terre. À cause d'une guerre qui se déclare sur leur planète d'origine, les hommes repartent et abandonnent Mars, excepté une poignée d'entre eux. (éditeur)