L’affaire stanley brouwn

Publié le 07 juin 2012 par Marc Lenot

Capture d'écran (cliquez pour mieux voir)

stanley brouwn (sans majuscules, SVP) est un artiste hollandais-surinamien de près de 80 ans, connu pour son travail conceptuel, basé sur des protocoles très précis, quant à la mesure et au déplacement. C'est de plus un artiste qui refuse toute interview, tout texte sur lui, qui n'apparaît jamais (une autre rare photo ici). J'avais été frappé, lors de l'exposition Vides à Pompidou par la manière dont il avait disparu du catalogue et du dossier de presse : son nom n'apparaissait que sur la table des matières du catalogue, mais sans numéro de page, et sur le plan de l'exposition (salle 3) sans autre mention.

J'étais donc particulièrement heureux de prévoir de me rendre le 5 juin à l'IAC de Villeurbanne pour son exposition personnelle, dont la directrice de l'IAC, Nathalie Ergino était la commissaire, assistée d'Anne Stenne. Je cite quelques éléments du dossier de presse reçu en mai (d'où, sans doute par contagion, toute majuscule avait disparu) :
"une exposition personnelle pour laquelle il propose d'occuper la totalité de l'espace avec des oeuvres nouvelles.
dans cette même idée de l'expérience vécue de l'oeuvre, stanley brouwn se tient en retrait de la scène publique. il n'assiste pas aux vernissages de ses expositions et refuse toute iconographie ou publication de catalogue personnel. par ce choix, il se montre cohérent avec la nature de ses oeuvres, qui ne signifient rien d'autre que ce qu'elles montrent, soit l'expérience du rapport du corps à l'espace et au temps.
[à l'iac] il conçoit une oeuvre par salle et divise l'espace d'exposition en quatorze espaces, en référence au chiffre sept
le parcours défini par l'artiste décline les diverses formes que peuvent prendre les inscriptions des mesures dans ses oeuvres : réglette en aluminium et texte sur table sur tréteaux, texte mural, texte sur bois, adhésif au sol, structure en bois, dessin au mur...stanley brouwn appréhende cette exposition selon une réflexion et une expérimentation de l'espace de l'institut et de son implantation plus globale dans un contexte géographique local et universel.
l'artiste se situe au même niveau que le visiteur, dans une volonté de rendre compte du lien entre l'homme et un ordre spatial, de souligner une expérience du réel, un indice de présence dans l'univers."

Il était par ailleurs bien précisé que le vernissage se ferait "en l'absence de l'artiste". Assez alléchant, non ?

De plus le dossier de presse comprenait une invitation à une journée d'étude le 12 juillet intitulée 'station stanley brouwn', sans l'artiste bien sûr mais avec (toujours sans majuscules)
leonor antunes, jason dodge, hélène guenin, béatrice josse, hans ulrich obrist, paul-hervé parsy, jean-louis poitevin, évariste richer, joëlle tuerlinckx, sur une proposition de nathalie ergino et marianne lanavère; et je m'y serais volontiers rendu. J'en reprends quasi intégralement l'annonce:
" dans le cadre de l'exposition personnelle de stanley brouwn, l'institut d'art contemporain propose un temps d'échanges et de transmission afin de mettre en perspective l'importance de son oeuvre aujourd'hui. influence majeure pour de nombreux artistes contemporains, sa démarche à la fois personnelle et universelle est aussi une source d'inspiration pour des commissaires d'exposition et théoriciens de l'art...
stanley brouwn déclare : "je ne suis pas un artiste, je suis une personne parmi des millions d'autres personnes qui fait quelque chose que d'autres personnes appellent oeuvres". pour lui, ce sont les visiteurs qui activent les oeuvres, en accord avec une approche très contemporaine (chez les neurophysiologistes comme chez les philosophes) de l'individu dans son rapport à l'espace : percevoir, c'est agir.
stanley brouwn invente une géométrie de l'espace qui trouve ici son développement le plus large et qui tend vers une dimension cosmique, rejoignant par là les préoccupations et les 'stations' du laboratoire espace cerveau de l'institut."

Pourquoi citer ces textes ? Parce que le soir du 30 mai, donc six jours avant le vernissage, un mail m'informait que :
"L’Institut d’art contemporain est au regret de vous informer de l’annulation, sur décision de l’artiste, de l’exposition de Stanley Brouwn, qui devait avoir lieu du 6 juin au 19 août 2012, ainsi que du vernissage et du voyage de presse prévus le mardi 5 juin.
Nous ne manquerons pas de vous donner plus d’informations à ce sujet dans les prochains jours, sur notre site Internet (www.i-ac.eu). 
Nous sommes désolés des désagréments occasionnés et vous remercions sincèrement de l’intérêt que vous avez porté à ce projet."

Depuis, pas d'explications de l'IAC, ni de possibilité d'en savoir plus auprès de sa directrice (la semaine prochaine, paraît-il) et l'artiste, à son habitude, se refuse à tout commentaire. Point n'est mon intention de faire une enquête sur cette annulation, ce dont je serais d'ailleurs bien incapable. J'ai ouï dire que la communication de l'IAC autour de cette journée d'étude n'aurait pas respecté les normes que stanley brouwn impose pour toute communication sur son travail (police Helvética, pas de majuscules à son nom, pas de citations de lui,...), mais surtout que l'organisation d'une journée d'étude liée à l'exposition et dont le titre comprenait son nom lui a semblé être une violation de son refus constant de s'associer à tout discours sur son travail.

Certains jugeront que les exigences de l'artiste étaient absurdes, d'autres que l'IAC a voulu communiquer de manière trop publicitaire autour d'un artiste prestigieux en dépit de ces exigences. J'y vois, pour ma part un magnifique constat d'impossibilité : impossibilité pour l'artiste d'être visible (et d'accepter d'être compris) dans le champ public, impossibilité pour l'institution de respecter les exigences de secret d'un artiste quand elles se confrontent à sa mission de monstration et de communication.

L'acte ultime, après la salle d'exposition vide, est donc la non-exposition, accouchée dans la douleur. Comme je le disais il y a peu, on devrait considérer stanley brouwn pour Monumenta...