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Monsieur le Président normal

Publié le 06 juin 2012 par Legraoully @LeGraoullyOff

Monsieur le Président normal

Monsieur le Président de la République, vous êtes un fourbe, un cuistre, un ruffian, un fieffé coquin, et j’oserais même: un imposteur. Je ne vous cherche pas des crosses sur le terrain politique, j’ai déjà dit tout ce que je pensais sur ce sujet, à savoir que je m’en bats les flancs avec vigueur. Mais le mot « normal » m’a toujours provoqué d’ardentes démangeaisons (oui une démangeaison peut être ardente puisque cet adjectif découle du vieux français arder qui signifie brûler) et je vous prie de croire que depuis que vous avez accédé à la magistrature suprême, je ne suis qu’une plaque d’eczema ambulante, ce qui réjouit ma dermatologue mais m’incommode presque autant qu’un dîner aux chandelles avec Robert Ménard .

Depuis que vous avez lancé ce slogan de campagne aussi inepte qu’une réclame pour une boîte de lessive, nombre de nos concitoyens se sentent obligé de toiser d’un regard entendu quiconque lance l’épithète maudit, attendant la connivence dans l’humour de perroquet et le sourire approbateur de la victime qui a envie de lui expédier le visage en plusieurs morceaux aux autorités canadiennes s’il persiste à ressasser inlassablement les répliques (du verbe « répliquer »: répeter, copier, imiter, calquer) qu’il apprend à la télévision. Vous êtes bien placé pour le savoir, mais beaucoup de nos concitoyens sont des cons, qui construisent leur vocabulaire en dupliquant les tirades apprises par coeur non pas, trois fois hélas, chez Mallarmé, chez Baudelaire ou chez Oscar Wilde, mais dans l’humour déficient des entertainers qui font de la blague comme Doux fait du poulet maltraité et des plans sociaux. Si je croyais un tant soit peu au changement que vous prétendez incarner, je proposerais volontiers le rétablissement du supplice du pal pour tous ceux qui construiraient des phrases du genre « bref, j’ai fait caca dans le frigidaire » sur le ton de la série de Canal+, ou « j’irai aux obsèques de mamie….ou pas » en retranscrivant un jeu de mots anglophone totalement inadapté à la grammaire française que pratiquait déjà Shakespeare, c’est vous dire l’avancée intellectuelle de ces larves.

Que nous dit Littré, qui n’était pas que la moitié d’un con lui aussi mais qui au moins avait des lettres, sur le mot « normal »? L’étymologie nous apprend que normal dérive du latin norma (l’équerre, la règle), augmenté du suffixe adjectival -al qui a bien du mal à résister à l’invasion du néologique -el, mais c’est bien fait pour sa gueule, il n’avait qu’à pas traîner avec la norme. Au sens propre, une droite normale est une droite perpendiculaire à la tangente ou au plan, et bien que les opinions politiques soient également souvent tangentes, on sent bien qu’un président de la République, même communiste, n’a rien à gagner à être perpendiculaire au plan. Au sens figuré qui est devenu par une cruelle ironie le sens normal, notre adjectif honni signifie aujourd’hui conforme, conventionnel. Le vilain mot que voilà. Le président du changement maintenant serait-il donc un réactionnaire accompli qui pense que le changement, c’est la norme, ou s’agit-il d’une licence poétique du même tonneau que le silence assourdissant, l’obscure clarté et la république irréprochable?

Je vous vois venir avec vos gros sabots de berger, Monsieur le Président normal. Déjà, quelle est la norme en termes de Président? De Gaulle le mégalomane, Pompidou le compilateur le poésie, Giscard et son accordéon en diamants, Mitterrand qui a été de gauche pendant six mois, Chirac l’escroc, ou Sarkozy le néo-fasciste? Vous n’êtes arrivé au pouvoir que grâce à l’extrême nullité de vos adversaires (j’exagère à dessein, il est possible que votre programme ait fait rêver quelques-uns des déficients syntaxiques que j’évoquais plus haut), et je vous soupçonne d’avoir utilisé cette grosse ficelle de la normalité pour prêcher le rassemblement autour d’un projet moyen comme les goûtent tant nos concitoyens qui aiment la norme.

Et bien tenez-le vous pour dit, mon petit père: je ne veux pas qu’on me « rassemble » sous une bannière quelconque, et surtout pas celles du peuple, de la France et de la croissance, et je ne veux pas être normal. Les gens qui se revendiquent normaux et raisonnables me font peur, et leur normalité pue l’exclusion de tous ceux qui ne sont pas comme eux. La norme, c’est la famille nucléaire, les centrales du même adjectif, l’amour monogame et voué à la procréation, le dressage par l’école, l’usine (ou le bureau, c’est la même chose avec un décor différend), la télévision, la consommation, les codes culturels, sociaux, vestimentaires et que sais-je encore, le voyeurisme et l’exhibitionnisme imposés comme règles de vie, la prohibition et la tempérance  à tous les coins de rue. Mon fils, ma fille, mariez-vous bien, trouvez un CDI et un crédit pour une maison pourrie dans une campagne sinistre, et surtout faites-nous plein de marmots.

Je schématise un peu. Je sais bien, Monsieur le Président normal, que vous n’êtes pas trop porté sur la dictature morale, et je sais bien qu’il est permis de vivre autrement que dans le paragraphe précédent, d’ailleurs je ne critique pas, si certains s’y plaisent, grand bien leur fasse. Et ne croyez pas que je sois sujet à l’anomie ou au nihilisme, au contraire, j’ai une petite morale bien à moi, à telle enseigne que je ne la partage avec personne, mais je préfèrerai toujours l’outrance teintée de virtuosité ou l’existence érémitique mais sincère à la norme plate et moutonnière.

Mais de grâce, cessez d’insulter la minorité de la population qui préfère les marges, les pics, les falaises, les environnements abrupts à la plaine stérile et chiante comme un livre de BHL. Ouvrez un dictionnaire des synonymes, soyez un président légitime, logique, régulier, honnête ou tout ce qu’il vous plaira, mais gardez vos normes pour vous, et amusez-vous à gloser sur les valeurs comme vous et vos collègues le faites si bien.

Et comme l’aurait dit Oscar Wilde s’il avait eu la télévision, « bref, il faudrait toujours être légèrement improbable », c’est à dire impossible à prouver.


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