L'Art à Crédit

Publié le 06 juin 2012 par Boisset

Par Roxana Azimi

A première vue, la trajectoire de la Chine est vertigineuse. Elle serait passée de la troisième place du marché de l'art, en 2007, à la première, en 2011, détrônant les Etats-Unis"La croissance des maisons de ventes aux enchères chinoises est en moyenne de 33 % par an, alors qu'une société plus traditionnelle comme Christie's n'a crû 'que' de 15 % en 2011", souligne François Curiel, président de Christie's Asie.

L'idée que la Chine ait d'ores et déjà pris la première place n'est pas tout à fait crédible ; les études comparent des situations non comparables. Le marché chinois impressionne certes par la puissance de feu de ses maisons de ventes, mais, à ce jour, aucune galerie chinoise n'a atteint l'omnipotence des américains Gagosian ou Pace.

Le fichier des maisons de ventes chinoises n'est pas non plus aussi global que celui de Christie's ou Sotheby's. Si la force de frappe des Chinois a dopé le marché intérieur et les prix des artistes du cru, permettant à trois d'entre eux de se hisser en pole position dans le palmarès des artistes les plus chers, ils n'interviennent que très modérément sur les marchés étrangers.

Le renforcement du marché local reste prioritaire. Certes, chez Christie's, en février 2011, un Chinois a emporté un tableau deGiorgio Morandi pour 1,4 million de livres sterling (1,7 million d'euros). Dans le champ contemporain, Budi Tek, un Chinois basé à Shanghaï et à Jakarta, achète des œuvres d'Adel Abdessemed. Sur la foire Art HK organisée à Hongkong en mai, les acheteurs du continent ont certes fait des emplettes, certains ont acheté des œuvres d'artistes occidentaux, beaucoup plus qu'on ne pouvait le soupçonner. Le mouvement est en marche donc, mais il en est encore à ses prémices.

Si les galeries ont rarement fait face à des mauvais payeurs, les maisons de ventes ont, elles, accusé des ardoises corsées. Un rapport fourni par les maisons de ventes chinoises révèle que 40 % des lots supérieurs à un montant de 1,5 million de dollars (1,2 million d'euros) n'ont pas été payés six mois après l'adjudication. Les cas de "folle enchère" plombent également les "auctioneers" (commissaires-priseurs) et les maisons de ventes françaises.

NEUF PROCÈS

Le commissaire-priseur Olivier Doutrebente a dû remettre en vente un album bouddhiste du XVIIIe siècle d'époque Qianlong qui avait été vendu en 2011 pour 3,6 millions d'euros. Lors de son second passage, le 30 mars, il n'a obtenu "que" 2,04 millions d'euros... Lors de la vente de la collection de Guy et Myriam Ullens, le 3 avril 2011, une œuvre de Song Yonghong adjugée 289 350 dollars (229 879 euros) n'a pas été payée.

D'après le site Bloomberg, Sotheby's a engagé neuf procès contre des mauvais payeurs chinois. Un avertissement qui porte ses fruits. Un Autoportrait dans des montagnes jaunes de Zhang Daqian (6 millions de dollars, soit 4,8 millions d'euros) - un artiste entretemps promu au premier rang des enchères mondiales en 2011 - acheté en octobre 2011 chez Sotheby's a finalement été payé en mars.

Ces nouveaux acheteurs ont aussi du mal à s'acquitter de sommes plus modestes. Ainsi, le spécialiste Jean-Marc Decrop, qui avait mis en vente en avril 2011 un lot de trois dessins d'Huang Yong- Ping, attend toujours d'être payé, alors que l'ensemble s'est adjugé pour 19 288 dollars. "Le problème des impayés dans les maisons de ventes tient à deux raisons : les riches Chinois ont l'habitude du crédit et jouent au avec. Donc ils demandent au moins trois mois de crédit pour payer la maison de ventes, voire plus", indique M. Decrop, qui estime le problème des impayés marginal.

Il poursuit : "Pour des lots importants [plus de 1 million de dollars] que j'avais mis en vente chez Sotheby's à Hongkong, on m'a demandé d'accepter des conditions de crédit de 90 jours et de 120 jours. Je l'ai accepté. Mais même avec ce long crédit, il y a eu un retard dans le paiement. Pendant ces trois à six mois que les acheteurs se donnent avant de payer, tout peut arriver, chute boursière, changement des conditions économiques, ce qui peut amener l'acheteur à changer sa décision d'achat et àcasser la vente. De façon plus générale, c'est aussi vrai pour les contrats. Beaucoup en Chine sont cassés ou renégociés."

Afin d'éviter les déconvenues, Sotheby's et Christie's exigent désormais une caution de 1 million de dollars de Hongkong pour les lots importants. Les auctioneers modèrent le poids des impayés. Selon Kevin Ching, président de Sotheby's Asie, les cas de non-règlement ne représentaient que 1 % à 1,5 % du chiffre d'affaires de Sotheby's en Asie. "Nos procès ne signifient pas que nous avons davantage de problèmes que d'autres maisons de ventes, poursuit M. Ching. Mais nous prenons au sérieux nos obligations envers les vendeurs et on veut les protéger. Nous envoyons des messages." Des messages nécessaires, car les acheteurs chinois ne sont pas encore habitués aux garde-fous.

Roxana Azimi